Interview avec Luc Frieden dans paperjam.lu

Luc Frieden: "Nous ne construirons pas de tours"

Interview: Paperjam.lu (Marc Fassone)

Paperjam.lu : M. Frieden, quels ont été les temps forts de ce premier trimestre aux responsabilités ?

Luc Frieden : "Il y a d'abord eu un énorme travail d'organisation du gouvernement. Cette phase s'est bien déroulée: j'observe que tous les ministres ont réussi à construire leurs équipes et ont défini leurs priorités. Et surtout, ce que j'apprécie, c'est qu'il y a une très bonne coordination entre les différents ministres. Je veille à cela quotidiennement pour que sur tous les sujets il y ait une unité dans l'action gouvernementale, unité indispensable pour progresser dans les dossiers ouverts devant nous.

Sur le fond, nous avons pris des mesures pour diminuer la charge fiscale des ménages pour leur redonner du pouvoir d'achat et pour relancer la construction. J'ai aussi veillé à cultiver les relations avec nos principaux partenaires européens par un certain nombre de visites en France, en Belgique et en Allemagne notamment. Et je me suis rendu en Ukraine rencontrer le président Zelensky pour réaffirmer notre solidarité avec ce pays.

Paperjam.lu : La table ronde logement s'est déroulée ce 22 janvier. Vous avez beaucoup parlé procédures et permis de construire. Comment les communes ont-elles réagi à vos projets en matière de réforme ou de refonte du régime du permis de construire ?

Luc Frieden : "Positivement. Toutes les parties présentes autour de la table déplorent les lenteurs qui existent lorsque l'on veut construire une maison. Et j'ajouterai, bien que ce ne fut pas l'objet de la première réunion, que cette lenteur peut être constatée également dans le domaine des énergies renouvelables. Or, je compte beaucoup sur l'éolien et le photovoltaïque afin de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. L'objectif est de voir avec les communes et le secteur privé ce que l'on peut changer à court terme dans les procédures pour accélérer la construction de logements supplémentaires.

Paperjam.lu : Les bourgmestres partagent-ils les objectifs de plus de logements et les conséquences qui en découleront ? L'autonomie communale peut-elle freiner la politique volontariste du gouvernement en matière de logement ?

Luc Frieden : "Tout le monde est conscient qu'au vu de la croissance de la population, nous avons besoin de plus de logements. Mais en même temps, les gens ne veulent pas que l'on construise trop près de chez eux. C'est une contradiction qui existe et dont j'ai conscience. C'est pour ça qu'il faut mener le dialogue avec les communes. Il faudra soutenir davantage les communes dans la réalisation des infrastructures scolaires, sportives ou encore routières dont elles auront besoin pour accueillir les nouveaux résidents. C'est un tout. Sans les communes, nous ne pourrons rien faire. Il y a tout un travail de dialogue et de pédagogie à mener pour que notre politique du logement réussisse.

Paperjam.lu : Votre objectif de construire plus ne met-il pas en danger une des caractéristiques architecturales du pays à laquelle tiennent les résidents: la maison individuelle? Est-ce un frein potentiel ?

Luc Frieden : "Je crois que nous aurons toujours à Luxembourg à la fois des maisons individuelles et des maisons à appartements. Mais quand il y a plus de gens qui vivent sur un certain territoire, il est logique que le nombre de maisons à appartements augmente par rapport aux maisons individuelles. Mais nous ne construirons pas de tours comme on peut en voir dans les grandes métropoles à l'étranger. Nous resterons dans des réalisations immobilières qui s'inscriront bien dans le paysage traditionnel.

Paperjam.lu : Le premier budget de votre gouvernement va être adopté ce Le premier budget de votre gouvernement va être adopté ce4 mars en Conseil de gouvernement et déposé à la Chambre deux jours plus tard. Comment le qualifieriez-vous ?

Luc Frieden : "C'est un budget de transition puisqu'il ne couvrira que la période de mai à décembre 2024, mais un budget qui reflète déjà nos priorités politiques qui sont d'augmenter le pouvoir d'achat, de maintenir les investissements à un niveau élevé et de tenir compte de la situation géopolitique en augmentant l'effort de défense. Et c'est évidemment un budget qui reflète notre engagement social, notamment en matière de logements puisque les fonds nécessaires pour l'acquisition de projets immobiliers destinés à être mis en location seront là.

Paperjam.lu : Un budget, ce sont des arbitrages. Qui sont les perdants et qui sont les gagnants ?

Luc Frieden : "J'ai été ministre en charge du budget pendant 15 ans et je sais que le budget est toujours un tout dans lequel chaque ministre devra se retrouver. Il n'y a pas un ministère qui a été privilégié par rapport à un autre. Ce serait d'ailleurs très mauvais pour la cohérence gouvernementale. Nous avons un programme gouvernemental qui est soutenu par tous les ministres et qui est mis en oeuvre à travers le budget. Ce qui compte pour moi comme chef du gouvernement, c'est le résultat. Ce budget sera respectueux des critères européens en matière de bonnes finances publiques. Nous respecterons les limites en matière de déficit public et en matière de dette publique et nous veillerons à ce que sur les cinq années à venir, les dépenses augmentent moins vite que cela ne fut le cas au cours des cinq dernières années. Tels sont les objectifs que nous nous sommes fixés et qui sont soutenus par l'ensemble des ministres.

Paperjam.lu : Où peut-on faire des économies dans le budget de l'État actuellement ? Où est le "gras" ?

Luc Frieden : "Je ne raisonne pas en termes d'économie, je raisonne en termes de croissance des dépenses. Ces dernières années, elles ont cru trop vite et donc chaque ministre a été invité à voir comment on peut freiner cette croissance. C'est là où se feront les économies. Nous n'avons pas la volonté de revenir sur les décisions qui ont été prises, mais il faut éviter qu'on ajoute tout le temps des choses qui à la longue vont devenir des dépenses structurelles. Par ailleurs, comme nous l'avons annoncé, nous allons voir au cours des prochaines années comment on peut mieux cibler les aides sociales pour qu'elles servent vraiment ceux à qui elles sont destinées.

Paperjam.lu : Est-ce un budget de rigueur ?

Luc Frieden : "Au mot "rigueur", je préfère les termes de stabilité et de prévisibilité des finances publiques. Je souhaite que le Luxembourg soit un pays dans lesquels les gens aient une fiscalité modérée, que nous ayons un environnement fiscal attractif pour les entreprises. Pour y arriver, il ne faut pas laisser filer les dépenses.

Paperjam.lu : Jean-Paul Olinger est le nouveau directeur de l'Administration des contributions directes. Partagez-vous le constat selon lequel cette administration est désorganisée, démobilisée et dépassée ? Quelle est sa feuille de route ?

Luc Frieden : "L'Administration des contributions directes est une très grande et très importante administration. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons la moderniser ensemble avec tous ses collaborateurs, la moderniser en termes de procédures et de digitalisation. C'est la feuille de route qui a été donnée à Jean-Paul Olinger. Je ne juge pas le passé. Nous regardons vers l'avenir et l'avenir exige qu'une si grande administration une modernisation que nous allons lancer dès le mois de mai. Je crois que l'on peut gagner beaucoup en termes d'efficacité si on s'inspire d'un certain nombre de modèles à l'étranger. On peut par la digitalisation et par une simplification des procédures être plus efficace et plus rapide que cela ne fut le cas par le passé.

Par ailleurs, Jean-Paul Olinger a aussi été recruté parce que c'est un fiscaliste de renom. Il a travaillé dans le domaine fiscal chez différents employeurs. Ses capacités de management combinées à son savoir-faire fiscal seront importantes pour le rôle que le gouvernement vient de lui confier.

Paperjam.lu : La modernisation de l'administration et la simplification des procédures sont des serpents de mer de la politique. Quelle est votre approche sur le sujet: une globale ou au coup par coup, secteur par secteur?

Luc Frieden : "J'opte pour une approche secteur par secteur. La simplification administrative n'est pas quelque chose qui se fait en une fois pour après ne plus avoir à y revenir. Au fil du temps, il y a énormément de procédures nouvelles qui sont créées. Ce que l'on regarde c'est l'ensemble du tableau. J'ai demandé à chaque ministre de regarder dans ses départements quelles sont les procédures qui aujourd'hui ne sont plus absolument nécessaires.

Je trouve que c'est plus efficace de le faire au niveau des ministères que de le faire au niveau de l'État parce que cela va prendre trop de temps et n'apportera pas de résultats. La simplification administrative, c'est un état d'esprit qu'il faut diffuser.

Paperjam.lu : L'autre grande nomination annoncée, c'est celle de Nicolas Mackel qui devient représentant permanent du Luxembourg au sein du Coreper, un organe central dans le processus décisionnel de l'UE. Est-ce le diplomate ou le financier que vous avez nommé ?

Luc Frieden : "C'est le diplomate qui est compétent à la fois en matière de relations internationales et d'économie. Et puisque les dossiers qui sont traités à Bruxelles ont un impact majeur sur notre pays, le ministre des Affaires étrangères et moi-même avons estimé que c'était le profil idéal pour représenter le Luxembourg auprès de l'Union européenne.

Le Représentant permanent du Luxembourg auprès de l'Union européenne est l'un des principaux conseillers du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères pour l'ensemble des dossiers européens. C'est un rôle extrêmement important.

L'Europe joue un rôle fondamental dans l'avenir du Luxembourg.

Un bon nombre de dossiers cruciaux qui ont un impact sur le Luxembourg sont discutés au niveau européen. Donc nous devons veiller à bien les influencer et à bien les suivre.

Je voudrais également souligner que l'ensemble des représentants permanents du Luxembourg par le passé ont été d'une remarquable qualité. Nous avons toujours eu des diplomates de grande qualité, notamment auprès de l'Union européenne.

Paperjam.lu : Continuons sur l'Europe. Les élections au Parlement européen arrivent. Ursula von der Leyen est candidate à un nouveau mandat à la tête de la Commission européenne. Vous lui avez apporté votre soutien et celui du Luxembourg. Pourquoi êtes-vous favorable à un second mandat de sa part ?

Luc Frieden : "J'estime que la candidature de Mme von der Leyen, sur base de son expérience à la fois comme ministre de la Défense et comme ministre du Travail en Allemagne puis comme présidente de la Commission européenne, s'impose. Elle a l'expérience et le profil nécessaire pour diriger une nouvelle Commission. Elle comprend bien les intérêts des uns, des autres, et j'ajouterai, à titre plus local, que deux de ses frères sont nés à Luxembourg, que son père a travaillé à Luxembourg... Elle connaît donc aussi les petits pays et notamment le Luxembourg. À côté de cette anecdote, je trouve son parcours européen ces cinq dernières années remarquable et c'est la raison pour laquelle, en tant que membre du Parti populaire européen, je trouve que c'est une très bonne candidature.

Paperjam.lu : Quels sont les enjeux de ces élections pour l'Europe et pour le Luxembourg ?

Luc Frieden : "Ils sont énormes. Seule une Europe unie peut faire face aux défis géopolitiques posés par la guerre en Ukraine et aux défis économiques. Seule une Europe unie peut défendre les valeurs de liberté et de stabilité. Sur le plan économique, nous devons rester compétitifs et veiller à ce que les entreprises produisent et travaillent en Europe et ne se délocalisent pas vers les continents américain et asiatique. Cette compétitivité, cette attractivité européenne, cette capacité de produire en Europe est essentielle.

Et c'est à cela que la prochaine Commission, mais surtout aussi le Conseil européen et le prochain Parlement européen doivent travailler.

Paperjam.lu : Quelle est la doctrine du gouvernement si, d'aventure, un ministre venait à être mis en examen ou était pris dans un scandale ? Devrait-il démissionner ?

Luc Frieden : "Le principe est que tous les ministres doivent se comporter en toutes circonstances de façon exemplaire. Le ministre est une personne publique, il représente l'État et, ce faisant, il a une responsabilité particulière vis-à-vis de son comportement. Les conséquences d'un mauvais comportement doivent toujours être décidées au cas par cas. Il n'y a pas de doctrine générale puisque les faits qui sont à la base d'une éventuelle décision judiciaire peuvent varier énormément."

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