Jean-Claude Juncker à la conférence du CVCE: "Werner aurait aimé les difficultés d'aujourd'hui puisqu'il aurait su qu'elles auraient été beaucoup plus graves sans la création de l'euro"

Le 27 janvier 2011, le Premier ministre Jean-Claude Juncker est intervenu à la Chambre de commerce sur le sujet "Du plan Werner à l'euro: 40 ans de succès et de crises". La conférence, qui a été organisée par le Centre virtuel de la connaissance sur l'Europe (CVCE) et la Fondation Pierre Werner, a été précédée d’une présentation des premiers résultats d’un projet de recherche consacré à l’action européenne de Pierre Werner.

Jean-Claude Juncker s’est livré à une analyse historique détaillée des principales étapes de l’intégration monétaire, du plan Werner à la mise en place du serpent monétaire en 1972 en passant par le système monétaire européen en 1979 jusqu’à l’avènement de la monnaie européenne.

Un précurseur en matière monétaire

Dans son analyse, truffée d’anecdotes tirées de la grande et de la petite histoire, la genèse de l’euro apparaît comme étant indissociable de la formation intellectuelle et professionnelle de Pierre Werner qui était un véritable précurseur en matière monétaire. Banquier puis commissaire au contrôle des banques (1945), ministre des Finances de 1953 à 1959, celui-ci était féru d’histoire et était déjà à l’époque "convaincu de la nécessité impérieuse pour les pays de l’Europe occidentale d’entreprendre l’intégration économique et monétaire", a rappelé le Premier ministre Jean-Claude Juncker.

Selon Jean-Claude Juncker, l’esprit visionnaire se manifestait également dans l’appréciation et l’évaluation des événements de son époque. Sa connaissance fine de l’histoire monétaire, de son propre pays et du continent européen a permis à "l’architecte de l’euro" de cerner les raisons qui allaient précipiter l’échec des tentatives visant à instaurer des unions monétaires au 19e siècle (comme l’union douanière du Zollverein, l’union latine ou scandinave). Selon le Premier ministre, Pierre Werner pressentit déjà à l’époque l’effondrement du système monétaire de Bretton Woods, fondé sur des dispositions et des procédures pour gouverner le monde de l’après- guerre, système monétaire dont l’effondrement se précipita à la fin des années 1960. Le plan Werner qui ne sera pas mis en œuvre à cause de l’éclatement du système monétaire international comportait pourtant "déjà les éléments essentiels de ce qui deviendra 30 ans plus tard l’Union économique et monétaire", a souligné Jean-Claude Juncker. Pour illustrer ses propos, il a rappelé que Pierre Werner prônait déjà dans le plan Werner le besoin de coordonner davantage les politiques économiques.

La genèse de l’idée d’une union monétaire "par étapes" ne se faisait pas du jour au lendemain. L’idée d’une monnaie unique avait germé longtemps dans l’esprit de Werner qui prônait entre 1963 et 1968 devant la Chambre des députés "le besoin d’achever le marché commun" par l’introduction d’une monnaie unique qui en constituerait la clé de voute, a rappelé le Premier ministre. Le choix de Pierre Werner comme rédacteur du plan Werner "fut donc un hasard et ne fut pas un hasard". Le constat qu’aucun Luxembourgeois n’était représenté au sein du comité chargé de rédiger le plan Werner était, selon Jean-Claude Juncker, un coup du hasard. Que le choix soit finalement tombé sur Werner, qui était doté de connaissance approfondies des politiques monétaires et qui avait participé à la mise en place du marché commun et à tous les débats monétaires de l’époque, "relevait beaucoup moins du hasard", a argué Jean-Claude Juncker.

Les crises qui ont émaillé l’histoire de l’euro

L’histoire de l’intégration monétaire est également celle des multiples crises qui ont émaillé l’histoire et qui ont failli capoter l’émergence d’une monnaie commune.

Jean-Claude Juncker, témoin de première heure de l’euro, chargé à l’époque par le Premier ministre Jacques Santer de présider la conférence intergouvernementale sur la mise en place de l’euro en 1991, s’est rappelé, entre autres, de la proposition du gouvernement britannique qui prévoyait la mise en place d’une "hard currency". Pour arrimer les Britanniques, qui étaient férocement opposés à la mise en place d’une monnaie unique, au projet européen, Jean-Claude Juncker a proposé la clause d’opting-out "qui n’était pas très pro-européenne mais constituait la seule solution envisageable à l’époque". Or, c’était oublier le gouvernement des Pays-Bas qui prônait quelques mois plus tard la mise en place d’une Union économique monétaire basée sur le principe de l’opting-in. Par opposition au principe d’opting-out, la clause d’opting-in "faisait de l’appartenance à l’Union monétaire et économique une exception et non la norme", a expliqué le président de l’Eurogroupe. Jean-Claude Juncker a également cité les divergences qui ont existé entre la France et l’Allemagne sur l’indépendance de la Banque centrale européenne. "Considérée par les Français comme une absurdité" et par les Allemands comme "une nécessité absolue", l’idée de l’indépendance de la BCE était devenue un vraie casse tête. "Pour l‘Allemagne, confrontée a deux reprises à la destruction totale de son économie, le Deutschemark revêtait une symbolique forte dans l’imaginaire des Allemands", a tenu à préciser Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker, qui a ensuite enchaîné sur les turbulences financières auxquelles la zone euro est confrontée aujourd’hui, a finalement estimé "que Pierre Werner aurait aimé les difficultés d’aujourd’hui puisqu’il aurait su qu’elles auraient été beaucoup plus graves sans la création de l’euro".

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