Jean-Claude Juncker, Discours à l'occasion de la conférence "30 ans de l'ASTI", Luxembourg

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Je ne sais pas qui a pu vous dire que j'allais m'exprimer en luxembourgeois. Le luxembourgeois est une langue que je maîtrise, mais que je n'emploie pas toujours. Je suis un homme assisté, donc dirigé et quelqu'un a dû vous dire que de toute façon je m'exprimerais en luxembourgeois, mais je peux le faire aisément en français.

Tout d'abord je voudrais dire la joie qui est la mienne d'être ici ce soir et d'être associé par voix de conférence aux nombreuses festivités qui gravitent autour du 30e anniversaire de l'ASTI. L'ASTI, dont je voudrais dire tout le bien que je pense. Je crois que l'ASTI – dont j'ai suivi les actions, sur un mode laudatif très souvent, avec amertume très rarement – a su conjuguer dans ce pays des éléments qui jusqu'au moment de sa création – si jamais la période pré-ASTI de l'União était distincte – donc a su organiser l'intersection entre les choses qui, comme disait Pascal, allaient ensemble. On devrait dire qu'ils devraient aller ensemble.

Le Luxembourg doit beaucoup à l'ASTI, parce que l'ASTI, dans la conception moderne de la Nation a bien mérité de notre pays, puisqu'elle a su convaincre de nombreux Luxembourgeois de la justesse de ses propos et de la perfection parfois de ses analyses. Donc je ne peux que me féliciter de vous voir en si bonne forme ce soir.

Vous me demandez de discourir sur l'intégration et l'immigration, bien que votre introduction m'ait rendu quelque peu confus, puisque vous avez dit que je devrais parler de la politique d'immigration de mon gouvernement et aussi de l'avenir. Je ne vois pas très bien la différence entre les deux, mais je suis conscient que certains d'entre vous y mettraient plus qu'une seule nuance.

Nous étions par nécessité un pays d'émigration jusqu'à la fin du 19e siècle et l'industrialisation ajoutant aux richesses et aux opportunités du pays, nous sommes devenus un pays d'immigration. Nous avons – nous Luxembourgeois, nous, pays – une courte expérience de l'émigration, bien qu'elle continue à alimenter nombre de nostalgies strictement incompréhensibles pour les jeunes d'aujourd'hui, et une longue expérience d'immigration. Il est vrai qu'en termes d'immigration, lorsque nous comparons nos chiffres aux chiffres des pays avoisinants ou des pays de l'Union Européenne et même au-delà, il est vrai que nos chiffres, relatifs, pas absolus, sont impressionnants. Nous avions sur notre territoire en 1981 96.000 non-Luxembourgeois, donc un pourcentage qui s'élevait à 26,3%. En 2009, donc l'année écoulée, nous avions sur notre territoire 215.000 non-Luxembourgeois, donc une proportion de 40,7%. Le nombre des non-Luxembourgeois s'est multiplié par un facteur de 2,3 et la proportion de Luxembourgeois et de non-Luxembourgeois s'est accrue de 17,4%, ce qui est assez impressionnant. Il faut savoir que sur les 43,7% de non-Luxembourgeois, 30.000, c'est-à-dire 6% viennent de pays hors de l’Union Européenne. Et il faut savoir – est-ce que les Luxembourgeois le savent ? – que d'ici 2020-2030, le nombre des non-Luxembourgeois dépassera le nombre des Luxembourgeois. D'ailleurs aujourd'hui déjà le nombre des non-Luxembourgeois pendant la journée de travail dépasse le nombre des Luxembourgeois, puisque nous comptons dans nos statistiques et dans nos entreprises pas moins de 147.000 travailleurs frontaliers. Chiffre impressionnant si je le compare aux débuts de ma vie gouvernementale. Lorsque j'étais jeune secrétaire d'État et jeune ministre du Travail, nous avions à peu près 22.000-23.000 frontaliers belges, allemands et français dans nos entreprises et sur notre territoire. Ces chiffres produisent des effets sur le marché de l'emploi. Nous, qui avons toujours peur d'être submergé, nous le sommes déjà, puisque le nombre des Luxembourgeois sur notre marché du travail, c'est-à-dire dans le secteur privé, s'élève à 96.500, c'est-à-dire à 29,3%, 70% de ceux qui travaillent dans le secteur privé n'étant pas Luxembourgeois. Ces évolutions, ces développements ne sont pas prêts de ne plus se développer vers le haut, si j'ose dire, puisque l'immigration nette au Luxembourg fut de 6.000 en 2007 et de 7.700 en 2008, le double en fait de ce que fut l’excédent migratoire au début et au milieu des années 1990.

Devant ces chiffres et de ces chiffres naissent un certain nombre de réflexes, des réflexes parfois compréhensibles, des réflexes également malsains. Les réflexes générés par cette forte immigration au Luxembourg sont mixtes. Vous aurez constaté comme moi que lorsque nous sommes en période de haute conjoncture, lorsque tout va bien, lorsque la machine économique tourne, le débat sur l'immigration n'a pratiquement pas lieu. Ou s'il a lieu, dans des lieux secrets, genre bistrots et autres lieux cachés. Lorsque tout va bien, lorsque le pays a besoin d'une main d'œuvre bien formée et d’une main d’œuvre moins qualifiée, parce qu’on en a également besoin, on n'a pas peur de ceux qui viennent d'ailleurs.

Et les Luxembourgeois en fait étaient toujours d'accord pour dire que le pays doit beaucoup à l'immigration. Quelqu'un qui comme moi, vient du sud du pays, qui ai grandi avec des Italiens, qui ai joué au foot contre les Italiens, avec les résultats que vous pouvez imaginer, je dois dire que nous devons beaucoup à l'immigration italienne et à l'immigration portugaise. Nous pouvons être fiers de l'immigration portugaise et de l'immigration italienne et les Italiens et les Portugais peuvent être fiers de l'enrichissement, non seulement au sens matériel, qu'ils ont apporté au pays. Je dis donc vive le Portugal et vive l'Italie, parce que nous devons beaucoup aux immigrants qui viennent de ces deux pays-là !

Lorsque nous sommes en crise, lorsqu'il y a un ralentissement conjoncturel, lorsque nous pénétrons dans les zones ténébreuses des récessions comme ce fut le cas en 2009 et en 2010, cette peur de l'étranger prend corps, prend forme et s'exprime moins sporadiquement. Je prétends que si dans ce pays l'extrême droite, qui existe, devait se trouver, comme on dit en franglais, un leader inspiré, ou plutôt mal inspiré, l'extrême droite connaîtrait au Luxembourg à peu près les mêmes résultats qu'elle connaît dans les pays avoisinants. Il ne faut pas se leurrer.

C'est un réflexe identitaire que nous trouvons à l'échelle du continent, non seulement les Luxembourgeois en période de crise ont-ils peur de celui qui vient de plus loin, encore est-il que les Européens eux aussi se prennent à ne plus aimer ceux qui viennent de plus loin. Cela est dû au fait que sans le savoir exactement, les Européens ont une pré-idée de ce que sera le siècle à venir.

Au 1er janvier 1900 vivaient sur la surface la planète 20% d'Européens, au sens large du terme ; au 1er janvier 2000 les Européens étaient encore 11%. Vers 2050, vers le milieu du siècle, le nombre des Européens se sera réduit à 7% et à la fin du siècle les Européens représenteront exactement, à quelques millimètres près, 4% de la population mondiale. Nous serons donc en face, nous les Européens et nous les Américains du Nord, 800 millions face à 8 milliards d'hommes et de femmes qui ne sont pas Nord-américains, qui ne sont pas Européens. Moi je n'ai pas peur des autres, ni au Luxembourg, ni ailleurs. Nous ne sommes pas les maîtres du monde, nous ne l'étions jamais. Je ne connaîs pas un siècle qui aurait été européen et il n'y aura pas de siècle européen. Je crois que le siècle que nous venons de pénétrer sera un siècle multipolaire, multidimensionnel, qui englobera dans son brassage les divers continents avec tous ceux qui les habitent. Mais naît à partir de ce pré-savoir sur ce que sera la démographie du 21e siècle un sentiment de malaise qu'il faudra non pas accepter, mais qu'il faudra combattre à tout prix. Et ce qui est vrai à l'échelle du continent l'est également au niveau du pays où la perspective de voir le nombre des non-Luxembourgeois dépasser le nombre de Luxembourgeois inspire nombre de craintes.

Même si au Luxembourg il y avait moins de non-Luxembourgeois que maintenant, il y avait toujours cette espèce de sentiment qui faisait que nous pensions devoir réagir contre une présence étrangère trop forte, même lorsqu'elle fut très faible. Lorsque la Communauté européenne du charbon et de l'acier fut créée en 1952, les négociateurs luxembourgeois avaient déjà pris soin de noter non seulement dans les procès-verbaux, mais dans les articles afférents du traité CECA, qu'il faudrait que les pères du traité tiennent lieu du déséquilibre du marché du travail luxembourgeois qui risquerait d'être provoqué par la mise en commun de toutes les sidérurgies européennes des 6 pays membres fondateurs. Lorsque fut signé le traité de Rome, 5 ans plus tard, et lorsque fut introduit une des 4 libertés fondamentales de l'Union Européenne, à savoir la libre circulation des travailleurs, le Luxembourg rendait attentif, non pas dans une note en bas de page, mais dans un article du traité, aux nécessités qui découleraient pour le Luxembourg d'adopter certaines mesures restrictives en raison de la situation démographique spécifique du Luxembourg.

En 1986, lorsque l'Espagne et le Portugal ont rejoint l'Union européenne, qui fut la Communauté européenne de l'époque, le Luxembourg, toujours sur cette liberté fondamentale de la libre circulation, avait négocié une période transitoire qui dépassait la période transitoire en ce qui concerne l'ouverture des marchés du travail des autres parties contractantes. Moi j'étais, là encore, jeune secrétaire d'État et puis jeune ministre, j'aime repenser à cette période de ma vie, mais non pas pour la négociation que j'ai conduite, parce que Monsieur Werner d'abord et Monsieur Santer ensuite – puisque j'étais ministre dans leurs gouvernements respectifs – m'avaient demandé de négocier avec l'Espagne et le Portugal la période transitoire et la période transitoire allongée. Je suis toujours très gêné de l'avoir fait avec succès et je suis toujours très gêné jusqu'au point de me cacher rapidement dans un des nombreux coins des couloirs européens, lorsque je rencontre quelqu'un qui fut négociateur du côté portugais ou espagnol. Moi qui ai la réputation, pour le dire simplement, d'être un bon Européen, je ne voudrais pas qu'on me rappelle les méfaits de ma jeunesse, puisque j'avais avec succès convaincu tous les pays de l'Union Européenne que la situation du Luxembourg était à ce point particulière qu'il nous faudrait absolument 3 années d'adaptation et d'ajustement de plus que les autres pays membres des Communautés européennes. Heureusement nous avons mis fin à cette période transitoire exceptionnelle avant le terme, puisque nous aurions pu la maintenir en vie jusqu'en 1995 et nous avons mis un terme à cette période exceptionnelle de 10 ans en 1992 en alignant notre période transitoire sur celle des autres.

Devenu plus tard dans ma vie Premier ministre, je n'ai pas voulu attendre aussi longtemps pour mettre fin aux périodes transitoires à l'égard des travailleurs des nouveaux pays membres de l'Union européenne, puisque nous étions parmi les premiers pays à mettre un terme aux périodes transitoires, que j'ai jugées à l'époque où les traités d'élargissement furent conclus, comme étant extraordinairement longues.

Donc nous avions toujours cette impression de devoir, comment dire, de devoir nous défendre contre un risque qui viendrait de l'étranger. Les choses ont depuis beaucoup évoluées, bien que je dois vous rappeler un autre accès de faiblesse autobiographique dont je suis coupable, parce que avec un certain retard sur mes convictions déjà formées, encore comme ministre du Travail, j'ai présenté au Parlement un projet de loi qui permettait la participation des travailleurs non-Luxembourgeois, frontaliers compris, aux élections concernant les Chambres professionnelles. Là encore par un réflexe stupide, nous avons attendu un arrêt de la cour de justice au lieu d'anticiper. Nous avons réagi rapidement lorsque l'arrêt intervenait, puisque le projet de loi était prêt depuis quelques années.

Après tant d'expériences en matière d'intégration, en matière d'immigration, est-ce qu'on peut considérer aujourd'hui que l'intégration luxembourgeoise fut ou est un succès? A première vue, oui. J'en prends pour preuve les récents résultats d'un sondage de l'ILRES avec l'ASTI, où 79% des non-Luxembourgeois qui vivent au Luxembourg se disent satisfaits de leurs conditions de vie. Le pourcentage des Luxembourgeois étant satisfaits du sort qui leur est réservé n'étant pas plus élevé. 48% des non-Luxembourgeois qui vivent au Grand-Duché considèrent le Luxembourg comme étant leur patrie. Lorsque les mots ont du sens, patrie veut dire un pays qu'on aime. Donc je constate que la moitié de ceux venant de plus loin qui vivent chez nous, pensent que le Luxembourg est un pays qu'on peut aimer et qu'ils aiment. 56% des non-Luxembourgeois voudraient adopter la nationalité luxembourgeoise et 82% de ceux qui voudraient adopter la nationalité luxembourgeoise voudraient garder leur nationalité à eux. Là encore, réflexe normal, puisqu'on ne peut pas exiger de ceux qui sont venus nous rejoindre, de diviser à tout jamais leurs biographies en deux parties, l'une à oublier, qui fut italienne, portugaise, espagnole ou autre, et l'autre qui serait celle qu'il partagerait avec nous.

C'est la raison pour laquelle, lors d'une précédente manifestation en 2002, j'avais dit que j'étais en faveur de la double nationalité. Il fallait en convaincre mon parti et puis l'affaire fut faite.

Donc à première vue, comme il y a très peu d'événements à connotation raciste et vu l'état de satisfaction de ceux qui vivent chez nous, on pourrait dire que l'intégration au Luxembourg est une intégration réussie. A regarder de plus près, le doute s'installe. Si je lisais, ce que je ne fais pas, mais comme je suis un homme assisté, on me le montre, les idioties qu'on peut lire sur les divers Facebooks et le site internet de RTL, à chaque fois que l'occasion se présente, de dire tout le mal qu'on pense des non-Luxembourgeois, il m'arrive de m'interroger. Je vous dis donc, si extrême droite organisée il y avait chez nous, extrême droite structurée il y aurait.

Si j'examine le marché de l'emploi, plusieurs éléments sautent aux yeux. Le chômage des non-Luxembourgeois est autrement plus élevé que le chômage et le non emploi des Luxembourgeois. Sur tous les chômeurs indemnisés, tous les demandeurs d'emploi inscrits, 70% sont étrangers alors que la part relative des non-Luxembourgeois dans la population totale ne s'élève qu'à 44%. Nous avons au Luxembourg 16-17% d'amis portugais, mais parmi les chômeurs et les demandeurs d'emploi 32,6% sont Portugais. Les Luxembourgeois représentant, alors qu'ils sont en majorité, 30,1% de chômeurs indemnisés et des demandeurs d'emploi. Par conséquent, le chômage et la crise frappent autrement plus durement les non-Luxembourgeois que les Luxembourgeois.

Si je pouvais me fier aux chiffres officiels du gouvernement en ce qui concerne l'appréciation du seuil de pauvreté – j'ai les plus grands doutes là-dessus, enfin sur ces statistiques-là comme sur d'autres – je dois constater que nous avons un taux de pauvreté qui s'élève à 13,4%. Je ne le crois pas, d'ailleurs, mais c'est la définition européenne, à laquelle j'ai brillamment concouru, qui a fait que nous ayons cet instrument de mesure. Parce que si on interroge les interrogés sur leur perception subjective de la pauvreté ils ne sont que 7%, ce qui semble mieux correspondre à ce qui peut être la réalité de notre pays. 6,2% des Luxembourgeois vivent sous le seuil de pauvreté, mais les étrangers qui vivent sous le seuil de pauvreté nous confrontent à un pourcentage qui est autrement plus élevé, puisqu'il s'élève 20,2%.

Si j'examine les chiffres de l'Administration de l'emploi et les chiffres du ministère de la Famille, les uns portant sur le chômage, les autres portant sur la pauvreté, je ne peux pas dire que l'intégration au Luxembourg serait un succès total, c'est au moins, pour m'exprimer avec trop de nuances, un échec partiel. Echec partiel de l'intégration que l'on peut constater également au niveau de l'éducation nationale où le nombre des échecs scolaires pour les élèves non-Luxembourgeois est autrement plus élevé que le nombre des échecs scolaires qui frappent les enfants luxembourgeois. Il est vrai que le nombre des enfants non-luxembourgeois est en progression constante. Il est vrai que nous comptons en 2008-2009 plus de 500 primo arrivants, qui constituent un problème d'intégration et d'accueil tout particulier. Et le fait que dans nos lycées nous rencontrons 19% d'élèves non-Luxembourgeois n'est guère fait pour me rassurer, même si j'ajoute à ce chiffre l'école européenne, qui elle aussi accueille 2000 élèves non-Luxembourgeois, ce qui donne, en additionnant nos lycées et l'école européenne, une part de 30% d'élèves dans notre enseignement secondaire. Mais aujourd'hui déjà, 50% des enfants qui sont scolarisés dans le préscolaire n'ont pas pour première langue la langue luxembourgeoise, d'où la nécessité d'agir à plusieurs égards.

Du point de vue de la participation à la vie politique nationale les chiffres sont éloquents, ils ne sont pas désespérants, ils ne sont pas rassurants. Participaient aux élections communales de 1999 – les premières élections communales qui voyaient la participation des citoyens communautaires – participaient à cette élection de 1999, 13.835 électeurs. En 2005 ils étaient 24.000, c'est-à-dire que 17% de l'électorat ce jour-là fut de composition non-luxembourgeoise, le nombre des électeurs européens s'étant inscrit aux élections communales ayant doublé. Aux élections européennes, première édition 1994, 6.800 citoyens européens s'étaient inscrits sur les listes électorales. En 2009, l'année passée, il y avait 17.800 électeurs communautaires qui s'étaient inscrits, donc nous avons triplé depuis le début jusqu'aux dernières élections le nombre des électeurs communautaires. C'est beaucoup, ce n'est pas assez. Il y a du travail de ce point de vue à faire.

Alors sur base de ces constats: échecs scolaires, participation politique disons médiocre, performance en termes d'emploi négativement impressionnantes, quels sont les politiques à mettre en œuvre? Je crois d'abord que l'école est la clé de l'intégration et que donc tous les efforts doivent se diriger vers l'amélioration des structures d'accueil au niveau des écoles préscolaires, de l’enseignement fondamental et enseignement secondaire. Là, il faut dire que beaucoup de choses ont été faites, parce qu'on ne compte plus dans le pays les classes d'accueil, les classes d'insertion, les classes à régime linguistique spécifique. Dans 13 de nos lycées sur 27, les régimes linguistiques spécifiques fonctionnent. Je veux croire et je le crois, que les réformes qui ont été introduites au niveau de l'enseignement fondamental, et qui seront introduites au niveau de l'enseignement post-primaire, avec les instruments que fournit la notion de socles des compétences et l'enseignement nuancé des langues, les chances d'insertion définitive dans la société luxembourgeoise des élèves non-luxembourgeois seront renforcées. De toute façon, je sais la ministre de l'Éducation nationale très intéressée à ces questions et très concernée par ces questions, souvent aussi très désespérée devant l'impossibilité de faire ce qu'il faudrait que nous fassions absolument.

Je crois qu'une autre clé d'intégration est constituée par les langues, par la langue luxembourgeoise. Débat difficile. Débat difficile parce que il est très souvent approprié par ceux qui voudraient ériger la connaissance des trois langues du pays ou de la langue luxembourgeoise en barrière, alors que moi je voudrais que nous considérions les langues comme constituant un pont vers la société luxembourgeoise, qui d'ailleurs ne parle pas que le Luxembourgeois. Je crois qu'en matière de langues et notamment en matière d'apprentissage de la langue luxembourgeoise il faut être exigeant, mais il ne faut pas être trop exigeant. Moi je suis toujours un peu gêné par ceux qui voudraient que les non-Luxembourgeois qui sont chez nous et surtout les non-Luxembourgeois qui voudraient devenir Luxembourgeois, devraient pouvoir s'exprimer comme s'expriment nos avocats devant les Cours et Tribunaux. D'ailleurs ils parlent tous français en règle générale. Donc avoir des connaissances en luxembourgeois qui permettront à nos amis non-Luxembourgeois de pouvoir évoluer normalement en tant que citoyens et en tant que consommateurs sur le territoire luxembourgeois, d'accord ; mais exiger des connaissances linguistiques de ceux qui viennent chez nous qui dépassent le bon sens me paraît être une approche dont il faudra que nous nous défassions le plus rapidement possible.

Pour le reste il y a là dans notre société une belle hypocrisie, les non-Luxembourgeois sont très disponibles pour apprendre la langue du pays, mais ils se trouvent confrontés à d'énormes difficultés pour trouver le lieu où on pourrait apprendre le luxembourgeois dans des conditions normales, parce que nous ne sommes pas à même de mettre en place toutes les structures qu'il faudrait pour satisfaire à ce besoin d'apprendre le luxembourgeois qui est celui de nombreux citoyens non-Luxembourgeois. Et donc il faudra que nous multiplions les structures que nous n'avons pas, il faudra que nous trouvions les maîtres d'école, les enseignants qui seraient prêts à prendre sur leur temps pour apprendre et enseigner le luxembourgeois à ceux qui en formuleront la demande. Des initiatives sur ce point sont en cours de route.

Intégration et accueil, tel fut le double Leitmotiv de la législation que nous avons adoptée en 2008. Législation sur l'intégration et sur l'accueil, les 2 allant là-encore ensembles, intégration et accueil. Intégration voulant dire que ceux qui viennent chez nous doivent vouloir participer dans la plus large mesure possible à la vie nationale, à la vie citoyenne et à la vie économique ; accueil voulant dire que ceux qui sont déjà là, les Luxembourgeois et les non-Luxembourgeois, devant être prêts à accueillir ceux qui viennent nous rejoindre. Si on détruit ce couple, intégration et accueil, la conséquence logique, presque naturelle, sera le cloisonnement des communautés et sera la création de sociétés qui évolueraient en parallèle. Nous avons une partie de ce phénomène au Luxembourg, le fait que certaines communautés étrangères, pas dans leur entièreté, aiment s'isoler, ne pas participer à la vie commune. On trouve aisément des explications pour cela, mais le phénomène ne peut pas ne pas être mentionné. Je l'attribue à un défaut de volonté intégrale de s'intégrer, je l'attribue à la faiblesse des structures d'accueil qui sont les nôtres. C'est la raison pour laquelle je voudrais que dans le plan d'action national pluriannuel, qui sera adopté sous peu, tous les éléments qui éloignent les non-Luxembourgeois des Luxembourgeois soient convenablement adressés, que des points d'intervention soient énumérés qui nous permettront de mettre un terme à cet éloignement relatif entre ce qui n'est pas encore un ensemble de deux communautés distinctes et qui ne doit plus jamais le redevenir.

Donc j'encourage les communes à conclure avec les instances gouvernementales des pactes d'intégration comme cela fut fait récemment à Bettembourg, ce qui me paraît être un modèle à suivre. Je voudrais que des carnets de bienvenue soient généralisés. Je voudrais que tout futur citoyen qui vient chez nous puisse, sur un carnet de bienvenue, apprendre tous les éléments qui font qu'ils pourront mieux s'intégrer dans la société luxembourgeoise. Je ne peux qu'encourager tous ceux qui en matière d'apprentissage des langues réfléchissent à un système sophistiqué de coaching qui me paraît être la bonne approche pour promouvoir l'apprentissage de la langue nationale. Je voudrais que les contrats d'accord et d'intégration ne restent pas lettres mortes, mais nous fournissent en effet le matériel qu'il faudra que nous ayons pour que les cours de langue puissent être organisés et pour que l'instruction civique puisse être enseignée. Bien qu'il m'arrive de me demander si tous les Luxembourgeois réussiraient à l'examen en matière d'instruction civique. Je crois qu'il y a du travail à faire des deux côtés de la barrière linguistique.

Bref, je voudrais que ce plan national soit un plan partagé par tous. Si le gouvernement élabore un plan national, on dira que les efforts furent méritoires, mais je voudrais que nous impliquions dans ce plan national également les communes. Je crois que la dimension communale est une dimension d'intégration essentielle et il faudra que sur ce point nous travaillions de concert avec les administrations communales qui sont d'ailleurs nombreuses à vouloir s'insérer dans cette nouvelle mécanique, si j'ose dire.

Trouver une réponse adéquate en matière d'insertion sur le marché du travail, de ceux qui ne sont pas luxembourgeois est non seulement une œuvre de longue haleine, mais demande des efforts particuliers. J'étais pendant 17 ans ministre du Travail et je n'étais jamais satisfait des résultats que nous obtenions en matière d'insertion des non-Luxembourgeois sur le marché de l'emploi. Va encore pour leur offrir un premier emploi, mais à partir du moment où ils sont éjectés du circuit de l'emploi, il est énormément difficile de trouver les voies et moyens pour les faire réintégrer le marché de l'emploi, dû au fait, notamment, que 40-50% des travailleurs immigrés sont des travailleurs sans qualification. Je veux dire par là sans qualification professionnelle initiale. Ils reçoivent très souvent une formation sur le tas et ils excellent dans leur métier, mais lorsqu'ils doivent changer de métier ils sont bloqués par toutes sortes de barrières.

Il faudra donc que nous réfléchissions davantage, ce que le ministre du Travail, Monsieur Schmit, est d’ailleurs en train de faire, aux possibilités qu'un recours accru à la formation continue pour les travailleurs qui viennent de plus loin puisse être envisagé avec la perspective de stabiliser la situation des non-Luxembourgeois sur le marché du travail.

Oui, la participation c'est un long débat, vous y avez fait allusion, Madame. Je veux dire aussi simplement que raisonnablement qu’il faudra que nous fassions des pas en avant et que nous accomplissions des progrès et que nous ne nous laissions pas arrêter par ceux qui n'aiment pas le progrès lorsqu'il se met en marche. J'ai demandé au ministre de l'Intérieur de saisir le Conseil de gouvernement d'un projet de loi le 9 avril, qui entend généraliser le droit de vote des non-Luxembourgeois. Le droit positif prévoit que les ressortissants communautaires peuvent participer aux élections communales et aux élections européennes, peuvent se porter candidat, mais ne peuvent pas accéder aux fonctions exécutives au niveau des communes. Dorénavant, je voudrais que les citoyens communautaires et que les citoyens non-communautaires, c'est-à-dire les citoyens venant des pays hors de l’Union européenne, puissent participer comme électeurs aux élections communales. Je voudrais que Luxembourgeois, communautaires et non-communautaires puissent être candidats et je voudrais que Luxembourgeois, non-communautaires et communautaires puissent accéder aux fonctions de bourgmestre et d'échevin. Je crois qu'il est temps de mettre un terme à cette catégorisation qui n'a plus de sens.

Donc ce sera fait le 9 avril et j'espère que la Chambre des députés va s'exprimer dans le sens souhaité sur cette innovation majeure de notre droit électoral. Je le dis notamment parce que je suis tout de même satisfait, bien que j'avais comme un pressentiment, par le succès qu'a connu la législation sur la double nationalité. Il faut tout de même voir qu'entre 5000 et 7000 non-Luxembourgeois jusqu'à ce jour ont adopté la double nationalité. Moi j'ai toujours prétendu que la double nationalité était la voie royale de l'intégration, mais non pas de l'intégration à vouloir, mais de l'intégration déjà réussie. Et si on alourdit son costume par deux passeports, c'est la preuve que le cœur, ce qui en physiologie n'est pas normal, bat des deux côtés de la poitrine. Le succès de la loi sur la double nationalité prouve à l'évidence que l'intégration, si elle n'est pas un succès total, connaît tout de même de beaux succès et je voudrais que nous poursuivions sur cette trajectoire.

Pour le reste je crois qu'une participation politique accrue va dédramatiser la question de la langue. Plus il y a de participations, moins le débat sur la langue sera difficile. Là encore, langue et participation vont ensemble.

Bref et en résumé je crois qu'il s'agira pour les années à venir de faire concorder les faits et les convictions de la majeure partie de notre opinion publique. Je sais bien que dans notre opinion publique, il y a une frange, que je n'aime pas trop et qui n'aime pas ceux et ce qui vient de l'étranger, qui ne considère pas que ceux qui viennent de plus loin nous apportent leur talent, leur énergie, leur savoir-faire, leur force de travail, leur identité culturelle dont je ne voudrais pas qu'elle se noie totalement dans la nôtre. Je crois que c'est une conception fausse de l'intégration que de considérer que intégration doit rimer à assimilation. L'intégration n'est pas l'assimilation. Je voudrais que ceux qui viennent chez nous gardent de leur passé, de leur identité propre tout ce qui fait leur richesse et je voudrais que nous acceptions comme un enrichissement de notre pays les nombreux apports qu'ils peuvent nous fournir.

Je crois qu'il faudra que nous ne mélangions pas l'immigration légale et l'immigration illégale. Je ne vous ai pas parlé du douloureux problème de l'asile, nous pouvons le faire si vous le voulez bien, mais je ne vois pas en quoi immigration légale et immigration illégale devraient ou pourraient être traités sur un même pied. Je crois que nous devons avoir une immigration légale presque choisie, je n'aime pas trop l'expression immigration légale choisie, tout comme je n'aime pas les débats sur l'identité nationale qui en règle générale détruisent les identités nationales, qui ne savaient pas qu'elles devraient se mettre en question. Je n'aime pas l'immigration illégale, mais j'admets qu'il faut la gérer. J'ai failli dire avec tact, ce qui eut été de mauvaise inspiration, mais la gérer avec raison et cœur.

Si donc nous pouvions nous mettre d'accord que dans le cadre de ce plan national pluriannuel sur l'immigration et l'accueil, toutes les bonnes volontés du pays soient concertées et concentrées pour permettre à notre politique d'immigration de connaître, là où elle est défaillante, plus de succès, je serai le premier à en être ravi.

Je n'ai jamais prétendu que le Luxembourg en matière d'intégration et en matière d'accueil était un modèle à suivre par les autres. Mais si les autres pays avaient sur leur territoire un nombre aussi élevé de non-nationaux, je pars du principe – la plus simple des observations m'y confirmant – que la situation des immigrés dans ces pays-là serait moins confortable que dans notre pays. Je voudrais que dans ce pays, nous apprenions mieux à vivre ensemble. Je voudrais que le terme Nation renferme comme première dimension le vouloir vivre ensemble.

Si nous voulons vivre ensemble, nous pouvons vivre ensemble.

Merci.

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