Discours du Premier ministre, ministre d'État, Jean-Claude Juncker, lors de la remise du collier du Mérite européen, 25 novembre 2010

Monseigneur, Altesse Royale,
Messieurs les Présidents,
Cher Jacques Santer,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Vous aurez constaté sur votre programme que je suis l’orateur numéro 10. Ce qui entraîne pour moi l’obligation de m’adresser à vous d’une façon brève, et ce qui vous permettra de m’applaudir plus rapidement.

Oui, l’Europe, qui est devenue la grande affaire de ma vie, mène à tout. Elle mène même à des distinctions qu’on reçoit dans son propre pays, alors que cela ne m’arrive que rarement dans mon propre pays, mais plus régulièrement à l’étranger, ce qui ne fait pas toujours le bonheur de mes nombreux admirateurs de l’autre côté de la scène politique.

Oui, l’Europe a du mérite. Le grand collier du Mérite européen devrait être attribué à l’Union européenne elle-même, puisqu’elle nous a permis de laisser derrière nous les ombres des longues nuits du passé.

En fait, les générations d’aujourd’hui ne sont pas les seules qui ont inventé ou construit l’Europe. L’Europe est d’abord la construction de la génération de guerre. De ses hommes et de ses femmes qui, revenant des champs de bataille et des camps de concentration et retrouvant leurs villages et villes détruites, ont fait de cette prière d’après-guerre, qui dit «plus jamais la guerre», un programme politique, une ambition encadrée par des institutions qui ne cessent de produire ses effets jusqu’à nos jours.

Cette Europe, il faut la soigner, il faut la respecter, il faut l’aimer.

L’Europe n’est pas seulement une affaire cérébrale, ne repose pas seulement sur un raisonnement continental bien construit. L’Europe est aussi une affaire de cœur, qui échappe aux règles élémentaires des mathématiques. Si, en Europe, vous additionnez 2+2, le résultat n’est pas 4. Il est 5. Et pour que tous comprennent bien cette exception à la règle, puisque l’Europe est une exception à la règle universelle, il faut mieux la respecter et il faut en être fier.

Il faut mieux la respecter en essayant de parler de l’Europe d’une façon plus convenable que ne laisse supposer le mode d’expression de certains qui, pourtant étant les artisans de l’Europe, devraient mieux savoir que d’autres, que l’Europe est un projet d’ensemble. Il n’est pas un terrain de lutte entre intérêts nationaux.

Je suis toujours très étonné comme d’autres, après les réunions du Conseil européen, d’entendre des résumés qui sont faits dans les différentes conférences de presse nationales. C’est comme si on avait assisté à une réunion d’un tout autre type. Puisque cela ne s’est jamais passé ainsi.

Et pour le Premier ministre luxembourgeois, c’est même ultra-difficile, parce que les Luxembourgeois ont cette particularité qu’ils parlent plusieurs langues – ce que ne font pas tous les grands pays, mais le Grand-Duché le fait –, et donc ils regardent des programmes de télévision allemands, belges, français, anglais, néerlandais, italiens. Ils commencent à 6 heures du soir, et à chaque demi-heure, à chaque fois que s’ouvre un journal télévisé, ils voient un grand gagnant, un vainqueur qui a eu raison de tous les autres, qui l’a emporté, qui a expliqué aux autres que le bon sens national – il parle du sien propre – voudrait qu’ils renoncent au leur.

Lorsque commence le journal télévisé luxembourgeois, je n’ai plus aucune chance, parce qu’on a vu le défilé des grands vainqueurs et des grands gagnants, et moi, je m’applique à expliquer modestement ce qu’il en fut en terme de résultats – d’ailleurs, très souvent, cela ne demande pas trop de temps.

Je crois qu’il faut mieux respecter l’Europe en redécouvrant, et en leur donnant leur véritable amplitude des volumes, les vieilles règles qui ont fait le succès de l’Europe.

Je reste un chaud partisan de la méthode communautaire. Qui connaît ses règles, qu’il ne faut pas abandonner, qu’il ne faut pas mépriser, dont il ne faut pas se moquer.

Je voudrais que nous restions un système qui connaît une Commission qui dispose du droit d’initiative, du monopole d’initiative. Je voudrais qu’on respecte le Parlement européen, qui dispose d’un pouvoir de codécision. Je voudrais qu’on respecte le Conseil, qui est colégislateur et qui contribue à forger la réalité européenne.

Je voudrais que nous ne pensions pas que le recours excessif sur le long terme à la méthode intergouvernementale remplacera en qualité et en vertu la méthode communautaire.

On ne peut pas tout communautariser. Mais même si nous sommes dans un domaine qui est régi par l’intergouvernementalité, soyons intergouvernementaux d’une façon communautaire. Ce n’est pas très difficile. Il suffit de se rappeler en quoi consiste l’Europe et quels sont ses principes de base, dont un fut que grands et petits évoluent avec la même dignité et avec la même force de proposition dans cet ensemble européen.

Expliquez à nous, Luxembourgeois, que, tout Grand-Duché que nous soyons, nous sommes un petit pays – cela va de soi, parce que nous le savons depuis notre naissance. Si d’autres avaient la même lucidité prospective, ils se rendraient rapidement compte que, tout en étant plus grands que le petit Grand-Duché, il s’agit en fait en règle générale et sur l’échelle planétaire, de petites républiques et des petits royaumes. Nous sommes un Grand-Duché qui est entouré par des petits royaumes et par de petites républiques.

Et si je dis qu’il faut respecter l’Europe, je veux dire que nous devons être fiers de ce que nous avons réussi, de nos acquis, comme disait le président de la Commission. Il est tout de même incroyable de voir que nous sommes parvenus, nous, continent martyrisé, à faire en sorte que la paix règne d’une façon définitive dans notre partie de l’Europe.

Et si je dis qu’il faut respecter l’Europe, je veux dire par là que nous devons être fiers de ce que nous avons réussi, de nos acquis, comme disait le président de la Commission. Il est tout de même incroyable de voir que nous, continent martyrisé, sommes parvenus à faire en sorte que la paix règne d’une façon définitive dans notre partie de l’Europe.

Il est tout de même remarquable de voir que nous avons été capables de fusionner 16, à partir du 1er janvier, 17 monnaies nationales en une monnaie unique.

Le traité de Maastricht, qui reste le chef-d’œuvre de littérature politique que j’apprécie le plus, parce que je suis le seul signataire du traité de Maastricht qui soit encore en fonction, ce qui m’amène à dire que l’euro et moi, nous sommes les derniers survivants du traité de Maastricht, et en disant que nous sommes des survivants, je veux dire que l’euro n’est pas en danger de mort.

Nous pouvons être fiers du fait que nous avons été à même de construire le plus grand marché intérieur au monde; du fait que nous sommes, parmi les grands ensembles qui forment la planète, celui qui est porté par des valeurs sûres, profondément enracinées dans le cœur des Européens, et exportables et exportées sous d’autres cieux moins cléments que les cieux européens.

D’où la fierté que je tire du fait d’avoir pu contribuer à faire de l’Europe un succès.

L’Europe qu’il faut aimer n’est pas au point d’en vouloir faire un État. Je n’aime pas l’expression «États-Unis d’Europe». Les nations ne sont pas une invention provisoire de l’histoire. Les nations sont faites pour durer. Mais en Europe, elles coopèrent. Elles font plus que coopérer, sans s’étatiser.

Nous sommes, comme disait Jacques Santer, une construction sui generis. Nous sommes très sui generis. C’est plus que la coopération, ce n’est plus une conférence diplomatique et ce n’est pas un État qui chercherait à s’imposer à la volonté des nations.

Si nous respectons ces quelques principes, si nous restons fidèles à l’héritage qui nous fut légué par ceux qui nous ont précédés, ceux qui viennent après nous pourront être fiers de nous et de notre Europe.

Pour réussir, pour avoir ce courage de tous les jours, il faut évidemment plus de patience que nous l’avons et une détermination plus grande que celle qui caractérise nos actions pour le moment.

Je crois que l’Europe a besoin de détermination, a besoin de patience, de cette détermination et de cette patience qui caractérisent les grandes ambitions et les longs trajets.

Merci.

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