Le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn au sujet du 14e sommet de l'Union africaine

Éric Nyindu: Monsieur le Vice-Premier ministre, merci de répondre aux questions de VoxAfrica. Je rappelle donc, monsieur Jean Asselborn, vous êtes Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Luxembourg. Alors, dites-nous, le Luxembourg c'est très loin d'Addis-Abeba, vous êtes venu ici donc au 14e sommet de l'Union africaine, qu'est-ce que vous êtes venu faire ici?

Jean Asselborn: Je viens de Londres, de la conférence sur l'Afghanistan. C'est la première fois en fait que je participe à une réunion de l'Union africaine. Je suis venu parce que nous avons accrédité un ambassadeur à l'Union africaine la semaine dernière, le premier ambassadeur luxembourgeois qui a été accrédité. Et puis je pense que l'Afrique, de plus en plus, même pour nous, pour la mentalité politique luxembourgeoise, n'est plus que la coopération. C'est quelque chose de très important au niveau politique, c'est quelque chose de très important au niveau économique et culturel. C'est pour cela qu’un ministre des Affaires étrangères, qui combine quand même plusieurs éléments de la politique étrangère et pas seulement la coopération, est bien à sa place ici.

Éric Nyindu: Là vous ne dites pas assez ou vous en dites trop. Il faut nous en dire plus, parce que c'est vraiment très intéressant. C'est vrai, le Luxembourg est un tout petit pays, mais pays, en tout cas au niveau économique, très dynamique avec un niveau de vie très élevé au niveau de l'Europe et donc bien sûr au niveau du monde. Alors, le Luxembourg n'a pas de passé colonial, donc on ne peut pas dire qu'il y a des liens historiques avec l'Afrique. Il y en a qui se sont créés au fur et à mesure, si on peut le dire. Vous avez dit que la coopération luxembourgeoise est très active dans les pays africains, dans certains, pas dans tous. Mais qu'est-ce que vous venez faire, en plus vous dites ce n’est plus simplement la coopération, c'est aussi le business ?

Jean Asselborn: Si vous me permettez de répondre à la première partie de votre question. En fait, le Luxembourg, depuis la fin des années 1980, est très fortement impliqué en Afrique. Et si je vous dis que le Luxembourg est un des pays qui appartient au « G 0,7 » [interrompu]

Éric Nyindu: Alors, expliquez pour nos téléspectateurs : ce sont les pays qui ont réussi à augmenter le pourcentage de leur PIB à 0,7% pour la coopération ?

Jean Asselborn: C'est un objectif qui a été fixé aux Nations unies. Et nous avons dépassé ces 0,7% [interrompu]

Éric Nyindu: Vous l'avez atteint quand?

Jean Asselborn: Je pense qu'on l'a déjà atteint vers le milieu des années 1990. Depuis le début des années 2000, on travaille maintenant à l’augmenter. On est tout près du 1% du PIB. Il y a peu de pays, peut être une demi-douzaine, qui sont au-dessus des 0,7%. C'est pour ça que je dis, les pays du « G 0,7 ». On en est fier. Une chose encore avant de parler un peu du Luxembourg : on voit un peu partout les « dommages collatéraux » de la crise économique et financière. Partout on est en train de réduire les budgets et j'espère vraiment que, pour atteindre les Objectifs du millénaire en 2015, on ne les rétrécisse pas trop, parce que cela irait à l’encontre d’une politique de la solidarité mondiale. Donc, le Luxembourg, depuis la fin des années 1980, est très engagé dans quelques pays africains.

Éric Nyindu: Justement, dites-moi quelles sont les sphères d'influence, en tout cas d'action, au niveau de la coopération.

Jean Asselborn: Vous avez déjà mentionné le Cap Vert. C'est un pays où nous sommes parmi les plus forts, même en chiffres absolus. C'est surtout dans les pays de l'ouest de l'Afrique que nous sommes présents. Au Sénégal nous avons une ambassade pour certains pays de cette région. Nous sommes aussi à Ouagadougou, au Burkina Faso. Ce que nous faisons, ce sont des programmes de santé, des programmes d’irrigation, des programmes d’éducation surtout. Mais nous avons aussi la microfinance qui a été développée de façon très spectaculaire au Luxembourg. Et puis, il faut comprendre que le Luxembourg est un pays qui a une conception multilatérale. Donc on utilise les canaux des Nations unies pour aider le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), la lutte contre le SIDA, le BIT (Bureau international du travail) [interrompu]

Éric Nyindu: On peut faire plus ensemble que tout seul ?

Jean Asselborn: Nous n'avons pas les moyens ni en argent, ni en hommes, de faire plus pour être présents dans les pays et suivre ce qu'on fait. Donc on passe beaucoup par les canaux onusiens.

Éric Nyindu: Une information : vous avez dit, c'est vrai la crise a durement frappée toutes les économies mondiales et notamment les économies occidentales aussi. Sur le budget 2010 est-ce que ça se réduit ou ça se stagne, l'aide au développement au niveau du Luxembourg ?

Jean Asselborn: Au niveau du Luxembourg, on reste vraiment sur l'axe que nous avons défini : ça ne se rétrécit pas. Mais cela ne concerne pas uniquement le Luxembourg. Il y a les discussions qu'on entend aussi au niveau, par exemple, de l'Union européenne. Donc, il faut être très vigilant et ne pas se diriger vers une solution de facilité. Il ne faut pas oublier, je pense, de montrer en Europe qu'on est solidaire avec ce continent africain pour qu'il sorte un peu de ce qu'on entend ici. Toute la journée j'ai entendu que l'Afrique est un continent fier, un continent fort, c'est un continent qui a de l'avenir. Imaginez qu’aujourd'hui vous avez 1 milliard d’habitants sur ce continent. En 2050 les prévisions sont de 1,8 milliard d’habitants. Ce sont des populations très jeunes, tandis que l'Europe vieillit. L'Afrique est un continent jeune qui a des problèmes, évidemment, très différents de ceux que nous connaissons en Europe.

Éric Nyindu: Vous êtes bien sur aussi ministre des Affaires étrangères. Alors, parlez-nous justement de cette nouvelle approche diplomatique, puisque vous avez dit à présent que le Luxembourg ne veut pas simplement aider par devoir de solidarité, mais veut aussi, par exemple, avoir des relations diplomatiques, être influent. Et alors, est-ce que le Luxembourg a une stratégie africaine? Expliquez-nous, ça nous étonne.

Jean Asselborn: Si je parle maintenant de stratégie ; le Luxembourg, vous le savez, est une place financière importante. À part cela nous avons développé des compagnies de satellites ; la Société européenne des satellites (SES), qui est basée à Luxembourg, elle a son infrastructure au Luxembourg. Au niveau des communications modernes et du savoir-faire, le Luxembourg a déjà une renommée mondiale. Et là, nous travaillons ensemble avec l'Union européenne sur deux projets précis. Par exemple la télémédecine, dans la région subsaharienne. À partir du Luxembourg, on peut donc faire aboutir ce projet avec l'Union européenne et puis aussi des liens ou des ponts de l'internet en Afrique. Là aussi on a un projet dans le cadre de l’Union européenne.

Éric Nyindu: Donc, on est en plein dans le thème de ce sommet qui est : nouvelles technologies de la communication et de la formation.

Jean Asselborn: Voilà. Et là un pays comme le Luxembourg peut aider l'Afrique. Les compagnies luxembourgeoises ont déjà investi énormément d'argent en Afrique pour faire avancer ces projets. Il y a une deuxième remarque que je voudrais quand même faire, c’est que quand vous dites diplomatie, le Luxembourg n'était jamais au Conseil de sécurité. Il est pourtant un des membres fondateurs. Il y a 5 ou 6 pays qui n'ont jamais été au Conseil de sécurité. On n'a jamais posé notre candidature. En 2001, on a décidé de poser notre candidature. Le vote va avoir lieu en 2012 pour les années 2013/2014. Je pense que c’est là un challenge pour le Luxembourg. Nous avons une petite renommée que nous ne sommes pas pauvres. Mais nous sommes aussi un pays qui peut partager, je vous l'ai dit. Et là je pense que notre penchant pour le multilatéralisme, notre effort immense pour la coopération peut donner des signaux positifs et intéressants à l'Afrique. Il faut aussi dire que nous avons, par exemple, l'année dernière présidé l’ECOSOC des Nations unies et nous sommes dans la Commission de la consolidation de la paix qui a été initiée par Jean Ping, le commissaire actuel. Donc nous avons peut-être des atouts que d'autres n'ont pas et nous cherchons par les chemins diplomatiques à les faire valoir aussi en Afrique.

Éric Nyindu: Alors, dernière question, justement plutôt une demande d'explication. De ce point de vue là vous dites, on vient de nommer un ambassadeur auprès de l'Union africaine. Je veux dire: est-ce que c'est l'aboutissement d'un processus ou c'est le début de quelque chose?

Jean Asselborn: Je pense que c'est tout à fait le début. Nous avons trois ambassades en Afrique. Nous avons maintenant cet ambassadeur qui est posté à La Haye pour l'Union africaine. Je vais revenir l'année prochaine est aussi les autres années. Nous avons à Luxembourg chaque année des rendez-vous avec les ambassadeurs africains qui sont postés pour la plupart à Bruxelles, mais qui viennent à Luxembourg pour voir que le Luxembourg est un pays qui est intéressé aussi au développement économique. À part maintenant les TIC (technologies de l’information et de la communication), il y a d'autres éléments. Pourquoi pas, notre ministre du Commerce extérieur, j'ouvre la porte pour qu'il puisse un jour faire une démarche, venir en Afrique et puis vanter un peu ce qu'on fait au Luxembourg pour avoir des liens économiques qui peuvent être intéressants pour les deux côtés.

Éric Nyindu: Et on attend la première visite, peut être une délégation de l'Union africaine ou d'un président africain au Luxembourg. Est-ce que ça arrive?

Jean Asselborn: Ça arrive, bien sûr. Le président du Mali était au Luxembourg, le Mali est un pays qu’on aide beaucoup. Il y a d'autres présidents qui viennent au Luxembourg. Aucun problème, on les accueille tous. Et on est très fier s'ils viennent chez nous. Nous, la plupart des cas, on va chez eux. Mais tous les ans on a des présidents ou des ministres africains des Affaires étrangères qui viennent au Luxembourg.

Éric Nyindu: Merci beaucoup, Monsieur Asselborn, merci pour cet entretien. Je rappelle donc que vous êtes Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Luxembourg. Merci.

Jean Asselborn: Merci.

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