"Le tournant 2009". Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn au sujet d'un bilan de l'année 2009

Lëtzebuerger Gemengen: L'année 2009 a été celle des grands changements politiques dans le monde, tout particulièrement au sein de l'Union européenne, avez-vous souligné. Pouvez-vous préciser?

Jean Asselborn: Si vous permettez, laissez-moi commencer tout d'abord avec le développement politique le plus important de l'année, qui a été sans aucun doute l'arrivée au pouvoir du Président Obama aux Etats-Unis. Cet événement a engendré un revirement significatif des positions américaines sur maints sujets de l'actualité politique, aussi bien sur le plan domestique qu'international. Ce fut pour moi le changement le plus important de l'année, qui a eu, et continuera d'avoir un impact crucial partout dans le monde. Je salue vivement les efforts du président américain dans le domaine de la réduction des arsenaux nucléaires, ainsi que dans la reprise d'un dialogue plus engagé avec la Russie. L'approche américaine a désormais évoluée: elle a abandonné sa vision simpliste en "noir et blanc", d'une division du monde entre "les bons et les mauvais" sous l'administration Bush, en faveur d'une approche beaucoup plus nuancée et vers une attitude d'ouverture et d'engagement.

Sur le plan européen, un sujet a dominé la vie politique: la fin du processus de ratification et l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne au ler1 er décembre 2009. L'Union européenne a enfin réussi à réformer ses institutions et à se doter de nouveaux moyens pour renforcer son rôle, ses capacités et son image d'un acteur fort dans le monde. Les nouveaux postes qui sont créés par le Traité de Lisbonne, celui du Président permanent du Conseil européen et celui du Haut représentant pour la politique étrangère commune, contribueront de façon significative à l'avancement du processus d'intégration européenne. En outre, les nouvelles dispositions qui concernent le Parlement européen, ainsi que les parlements nationaux, viennent à rencontre des revendications des citoyens européens en vue de réduire ce fameux déficit démocratique en rapprochant les décisions prises sur le niveau européen du citoyen européen. Le processus de prise de décision sera facilité et, en conséquence, l'Union européenne deviendra plus transparente et plus compréhensible.

En l'occurrence, un autre événement symbolique, qui a eu une importance historique, fut le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Cet événement a été une étape incontournable dans le processus de la démocratisation, et donc de la pacification du continent européen. Rappelons à cette occasion que le projet de l'intégration européenne est fondamentalement un projet de paix.

Lëtzebuerger Gemengen: Le Traité de Lisbonne renforcera-t-il la cohérence interne de l'Union européenne: Président de l'Union européenne, ministre des Affaires étrangères, présidence tournante et Président de la Commission européenne, cela ne fait-il pas un peu trop d'interlocuteurs pour une seule entité?

Jean Asselborn: Certainement, l'Union européenne prendra du temps à assimiler ces changements et à établir un bon fonctionnement des nouvelles institutions et des nouveaux mécanismes. La mise en œuvre du Traité de Lisbonne sera ainsi un élément crucial sur l'agenda de la présidence du Conseil de l'Union européenne, que tient actuellement l'Espagne, et peut-être même de la prochaine, qui sera belge. Ce ne sera pas du jour au lendemain que l'Union européenne se prononcera d'une seule voix au plan international, cela prendra encore du temps. Il nous faut développer de nouvelles habitudes, de nouveaux réflexes de coordination. Mais, globalement, sachant que l'Union européenne compte actuellement 27 Etats-membres, la cohérence s'améliorera de manière significative. Désormais, malgré le fait que les présidences tournantes continueront d'exister pour présider les différents Conseils des ministres, l'Union s'est dotée d'une personnalité permanente, et n'aura plus un interlocuteur qui change tous les six mois. En plus, l'Europe s'est donné un nouvel instrument important, celui du Service européen d'action extérieur (SEAE), le nouveau service diplomatique européen qui représentera les intérêts communs des 27 pays à travers le monde. Sous la direction de Catherine Ashton, l'Europe jouira donc d'une représentation et d'une organisation beaucoup plus cohérente qu'avant.

Lëtzebuerger Gemengen: Le Luxembourg a été montré du doigt par certains de nos grands partenaires européens dans le dossier du secret bancaire. Pensez-vous que l'image du pays ait été sérieusement et durablement entachée? Si oui, comment redorer son blason?

Jean Asselborn: Je pense que le Grand-Duché a certainement souffert de cette pression, mais que, comme souvent déjà par le passé, le pays s'est bien sorti de cette situation. Pendant des mois, notre pays a dû encaisser des coups sévères dans la presse internationale. Évidemment, je suis déçu que ce soit quelques-uns de nos meilleurs et plus proches partenaires qui se soient montrés très critiques à notre égard, mais je pense que cet épisode est définitivement clos aujourd'hui. Ces pays ont compris que le Luxembourg est capable d'écouter, de s'adapter et restera donc un partenaire fiable. Rappelons que le Luxembourg a entre-temps signé 20 accords de non-double imposition avec des pays-tiers selon les standards établis par I'OCDE, standards qui aujourd'hui représentent LA norme internationale.

Néanmoins, pour revenir à l'image du Luxembourg, je suis d'avis que celle-ci restera celle qu'elle a été pendant des décennies: une place financière sérieuse et forte, qui garantit un des meilleurs standards internationaux et qui sait s'adapter à une demande de produits qui évolue rapidement, avec des services excellents et une expertise de toute première classe. N'oublions surtout pas que l'industrie des fonds au Luxembourg reste, malgré la crise financière, parmi les plus forts dans le monde! A côté de ces facteurs, je suis sûr que les clients intéressés à investir ou à déposer leur argent au Grand-Duché savent apprécier la stabilité politique et sociale de notre pays, tout comme l'environnement multiculturel et la qualité de vie, qui reste pratiquement inégalée à travers l'Europe.

Lëtzebuerger Gemengen: Cette pression exercée par les grands pays ne laisse-t-elle pas présupposer que le rôle du Luxembourg sur l'échiquier européen est relativement faible, et ce, malgré la présence de plusieurs institutions européennes sur son territoire?

Jean Asselborn: Soyons réalistes: le Luxembourg est évidemment un petit pays qui doit son existence aux aléas de l'histoire européenne. Mais quand je dis cela, je ne le dis pas pour réduire l'importance de mon pays. A bien des égards, notre histoire est celle d'une "success story"! Le seul fait que le Grand-Duché existe est déjà la preuve que nous savons nous défendre, et ce, même dans des situations très étriquées, et que nous jouons un rôle important sur l'échiquier européen. Rappelons-nous les mérites de ce petit pays qui a aidé à faire avancer l'intégration européenne: nous sommes non seulement membre fondateur de ce qui est aujourd'hui l'Union européenne, mais également un médiateur reconnu depuis des décennies au niveau européen.

Bien évidemment, beaucoup de signes semblent prédire un futur plus difficile pour notre pays, mais grâce à sa flexibilité, sa bonne connaissance de l'Europe et des langues européennes, ainsi que notre capacité à nous réinventer lorsque nous devons faire face à de grands défis, je suis confiant: le Luxembourg continuera à jouer un rôle important sur la scène européenne.

Lëtzebuerger Gemengen: Quelle est la feuille de route du ministère des Affaires étrangères pour la nouvelle législature?

Jean Asselborn: Un des projets les plus importants sera sans aucun doute notre candidature pour un siège non-permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies pour la période de 2013 à 2014. Il s'agit d'une tâche considérable qui met à l'épreuve tout notre réseau diplomatique à travers le monde. Mais, en tant que membre fondateur de l'organisation internationale la plus importante, le Grand-Duché, qui n'a pas encore eu le privilège de siéger au Conseil de Sécurité, est prêt à assumer ses responsabilités et à s'engager pour la paix au sein de la communauté internationale.

En outre, le Luxembourg continuera à renforcer son engagement sur le plan de la coopération et de l'aide au développement. Tout comme dans la dernière législature, nos efforts dans ce domaine continueront de représenter un pilier principal de notre politique étrangère. Notre but est d'atteindre définitivement le seuil de1% de notre produit intérieur brut (PIB), que nous investissons dans nos dix pays partenaires qui sont le Nicaragua et El Salvador an Amérique latine, le Vietnam et le Laos en Asie orientale, ainsi que la Namibie, le Cap Vert, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Niger sur le continent africain. Par ailleurs, le Luxembourg maintiendra ses contributions dans les différentes régions de crise, tel que le Proche-Orient, l'Afghanistan ou encore, suite au tremblement de terre, à Haïti.

Finalement, un autre domaine d'une grande importance pour le Luxembourg sera l'élargissement de l'Union européenne. Ce processus représente pour moi personnellement l'outil le plus puissant de la politique étrangère européenne commune. Sachant que le projet d'intégration européenne est un projet de paix, l'élargissement est ainsi l'instrument idéal pour non seulement élargir, mais également pour consolider l'espace de paix, de stabilité et de prospérité, l'approfondissement et l'élargissement devant néanmoins aller de pair.

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