Jean-Claude Juncker au sujet du Conseil européen et d'un éventuel plan d'aide à la Grèce

Caroline de Camaret: Bonjour à tous. Merci de nous rejoindre au Conseil européen à Bruxelles pour ce grand entretien. Nous sommes en compagnie de Jean-Claude Juncker. Bonjour.

Jean-Claude Juncker: Bonjour.

Caroline de Camaret: Vous êtes le président de l'Eurogroupe, l'Eurogroupe dont on a beaucoup parlé à propos du dispositif de sauvetage à la Grèce. Vous êtes aussi le Premier ministre du Luxembourg. Alors, moi en tant que journaliste, vous savez, Monsieur le président, j'ai beaucoup annoncé que l'Europe était d'accord sur toutes sortes de dispositifs de sauvetage à la Grèce depuis des mois. En quoi ce plan-là il est tellement différent, il est tellement mieux?

Jean-Claude Juncker: Il n'est pas mieux qu'un autre, parce qu'on n'avait pas d'autre plan, sauf l'accord de principe de venir en aide à la Grèce, si jamais il le faudrait. Nous nous sommes mis d'accord hier et aujourd'hui sur la nature juridique d’un instrument financier que nous allions aligner, si jamais la Grèce avait besoin d'aide. Moi, je persiste à croire que la Grèce n'aura pas besoin de cet instrument, puisque le programme de consolidation des finances publiques grecques est suffisamment crédible pour pouvoir convaincre les marchés financiers. La nouveauté par rapport au Conseil européen du 11 février, où nous avions parlé pour la première fois de la Grèce, est donc de nous être mis d'accord sur la nature exacte de l'instrument et nous prévoyons d'aligner 2 éléments: une aide à fournir par le Fonds monétaire international et la plus grande partie de l'aide à fournir sous forme de prêts bilatéraux, à mettre à la disposition de la Grèce par les autres États membres de la zone euro.

Caroline de Camaret: À l'origine, vous n’étiez pas pour cette intervention du Fonds monétaire international, d'autant qu’on le suppose assez lié au Trésor américain basé à Washington, donc c'est une sorte de mainmise sur l'Eurogroupe. Jean-Claude Trichet, le président de la BCE avait aussi émis des réserves, aujourd'hui vous êtes tout à fait convaincu que c'est une bonne chose?

Jean-Claude Juncker: J'avais émis des réserves sur l'idée caressée par certains de confier l'entièreté de l'aide à fournir à la Grèce au seul Fonds monétaire international. J'avais dit en début de semaine, qu'il me paraissait envisageable de faire un mélange entre les moyens à mettre à la disposition par le Fonds monétaire international et par la zone euro. J'aurais bien sûr préféré que la zone euro seule porte l'ensemble de l'effort, mais vu le fait que certains États membres de la zone pensaient que le Fonds monétaire international avait une expertise [est interrompu]

Caroline de Camaret: Ce n'est pas simplement que l'Allemagne ne voulait pas mettre autant que ça sur la table, que ça faisait trop cher pour le contribuable allemand et l'opinion publique d'Angela Merkel?

Jean-Claude Juncker: L'argument qui a poussé certains à faire intervenir pour une partie du financement le Fonds monétaire international, consiste dans le fait que le Fonds monétaire international dispose d'une longue expertise de suivi des programmes d'ajustement qui sont mis en place par les pays. L'Europe n'a pas cette expérience, le Fonds monétaire international l'a bien sûr.

Caroline de Camaret: Oui, mais l'argent, ce n'est pas seulement l'expertise, c'est l'argent.

Jean-Claude Juncker: Comme l'Allemagne n'était pas prête à assumer par la seule zone euro le coût de l'opération, mais qu'elle voulait une assez large part réservée au Fonds monétaire international, la sagesse élémentaire a voulu que nous ayons recherché une solution qui prend appui sur les deux instruments, le Fonds monétaire international d'une part et une plus large partie à fournir par la zone euro.

Caroline de Camaret: Vous reprochez à Angela Merkel finalement de n'avoir pas voulu, sous la pression peut-être populaire, les perspectives d'une élection régionale, qui a en quelque sorte déterminé un peu le destin de l'Europe à ce Conseil?

Jean-Claude Juncker: Moi, je ne m'occupe pas trop des échéances électorales des uns et des autres, parce qu'il y a des élections tout le temps partout en Europe. La démocratie est ainsi faite qu'il y a de temps à autre des élections. Ce n'est pas une crise de la démocratie, c'est la manifestation la plus évidente et la plus naturelle de la démocratie.

Caroline de Camaret: Mais là, ça n’a pas beaucoup pesé?

Jean-Claude Juncker: Je connais bien l'Allemagne, je suis les débats publics en Allemagne. Madame Merkel avait une position un peu plus difficile que les autres, puisque l'opinion publique allemande était largement hostile à tout concours européen, à un plan de sauvetage pour la Grèce.

Caroline de Camaret: Et très nombreux aussi à penser à une sortie de l'euro-zone. Plus d'un tiers des allemands qui considèrent que c'est même peut-être une option?

Jean-Claude Juncker: Ce n'est pas une option, c'est même une interdiction. On ne peut pas sortir de la zone euro comme ça. On n'entre pas comme ça, on ne peut pas sortir comme ça. Moi je suis contre cette idée caressée par certains en Allemagne, de pouvoir sous forme de sanction, exclure un état membre de la zone euro. Parce que qui se donne le droit d'exclure, se verra également attribuer le droit de sortir de son propre gré. Or, si demain un pays peut être exclu, un autre pays peut quitter parce qu'il le voudrait, nous assisterons à une vague de spéculations énorme. Un jour on spéculera sur l'éjection d'un État membre de la zone, un autre jour on spéculera sur la sortie volontaire d'un autre État membre. Il faut cesser ce petit jeu. L'euro c'est du sérieux, c'est une communauté de destin, tout comme l'Europe. On n'entre pas et on ne sort pas comme on va au bal le samedi soir.

Caroline de Camaret: Alors justement, est-ce que ce plan c'est un plan de l'Europe ou c'est un plan d'Angela Merkel, c'est le plan allemand?

Jean-Claude Juncker: Non, ce n'est pas le plan allemand. Enfin si c'était le plan allemand, il serait devenu européen et donc il aurait cessé d'être allemand. Vous savez moi je n'aime pas ce cirque d'après-Sommet qui consiste à répartir les chefs d'États et de gouvernement en deux catégories, les uns qui auraient gagné et les autres qui auraient perdu. Moi, je lis dans les journaux aujourd'hui que Madame Merkel a gagné. Qui a perdu? Est-ce que quelqu'un s'est déclaré perdant? Non. C'est l'Europe qui a gagné.

Caroline de Camaret: La Grèce est très gagnante?

Jean-Claude Juncker: La Grèce est très gagnante, parce que la Grèce se voit délivrer un certificat de solidarité par les autres. Je voudrais que les marchés financiers lisent bien ce certificat. On ne laissera pas tomber la Grèce. Je reste persuadé que la Grèce n'aura pas besoin d'avoir recours à cet instrument, parce qu'elle dispose d'un plan de consolidation crédible. Mais nous avons dit, comme membres de la zone euro, que nous sommes solidaires, que les marchés financiers doivent savoir qu'ils ne peuvent pas attaquer un État membre de la zone euro pour déstabiliser l'ensemble de la zone.

Caroline de Camaret: On mettra ce dispositif en œuvre en tout dernier recours. Alors pour les Allemands en tout dernier recours ça veut dire si la Grèce est au bord de la faillite, de la cessation de paiements. Les Français nous disent, tout dernier recours, attention si elle paie des taux d'intérêt trop élevés – là on est à 6,4 – trop élevés, insoutenables pour elle? C'est quoi le dernier recours pour Jean-Claude Juncker?

Jean-Claude Juncker: Je voulais d'abord constater que le président français, Nicolas Sarkozy et moi-même depuis des mois nous plaidons pour la mise en place d'un instrument pour organiser l'aide à la Grèce si jamais il le fallait. D'autres ne voulaient rien entendre. Ça pour la partie allemande du plan. Deux, l'Eurogroupe prendra la décision à l'unanimité de déclencher l'instrument, sur base d'un rapport et d'informations qui nous seront fournis et par la Commission et par la Banque centrale européenne. Donc il ne faudra pas maintenant, alors que nous nous sommes mis d'accord sur un instrument, relancer la spéculation qui alors va porter sur le fait de savoir quand sera arrivé le terme exact du déclenchement.

Caroline de Camaret: Vous ne nous donnerez pas un taux? Vous ne pouvez pas donner de chiffres, rien? D'ailleurs, il y a pas de chiffres à ce plan non plus?

Jean-Claude Juncker: Non mais, nous ne voulions pas le chiffrer. Si nous indiquions le volume financier qui le cas échéant devrait être actionnée, nous donnerions là encore l'impression, un, que nous nous attendons à ce que l'événement dont je ne parle pas arrive et deux, nous donnerions des informations aux marchés financiers. Comme moi je ne suis pas payé par les marchés financiers, j'ai la ferme intention de ne répondre à aucune des questions que vous êtes en train de mijoter.

Caroline de Camaret: Le gouverneur adjoint de la Banque de Chine a parlé de la partie immergée de l'iceberg qui était la Grèce, que son importance au regard de la zone euro n'était pas telle, mais qu'en revanche derrière il y avait le Portugal, l'Espagne et l'Italie. D'ailleurs le Portugal qui est en train d'adopter des mesures d'austérité, parce qu'on le lui demande et parce que sa note a été dégradée. Est-ce que l'effet domino est en train de se mettre en marche?

Jean-Claude Juncker: Le Portugal a adopté des mesures avant que sa note ne se dégrade, donc la dernière dégradation de sa note. Le Portugal lui aussi dispose d'un plan de consolidation crédible. Je ne vois pas de similitude entre la situation grecque et la situation des pays que vous venez de mentionner. Mais il est vrai que dans le cas précis de la Grèce nous avons dû faire le constat qu'un pays qui représente 2,5% du PIB de la zone, lorsqu'il est attaqué, lorsqu'il est en crise, peut ébranler l'ensemble du système, ce qui devrait renforcer dans les esprits et les cœurs des dirigeants européens le sentiment de solidarité intime qui nous lie. À partir du moment où vous adoptez la même monnaie, vous devez la gérer collectivement et solidairement.

Caroline de Camaret: Parce qu'on a un petit peu l'impression que les Grecs sont en quelque sorte punis moralement d'avoir triché, alors que les Portugais, les Espagnols et les Italiens n'ont pas triché, on est bien d'accord?

Jean-Claude Juncker: Oui mais enfin, le problème de la Grèce ne peut pas être réduit à ce mauvais chiffrage de la situation grecque que les autorités grecques nous ont fait parvenir à un certain moment. Le problème grec est dû à une énorme perte de compétitivité depuis le jour où la Grèce a rejoint la zone euro. La compétitivité grecque s'est dégradée de 25% sur les dernières 10 années. C'est ça qui explique à la base l'ensemble des problèmes grecs. La Grèce se trouve dans une situation budgétaire qui est le résultat d'une mauvaise gestion du pays pendant de très longues années. Tel n'est pas le cas au Portugal, tel n'est pas le cas en Espagne [est interrompu]

Caroline de Camaret: Mais ils doivent faire face à des échéances...

Jean-Claude Juncker: ... tel n'est pas le cas dans les autres pays, Espagne, Portugal, Italie. Je ne vois aucune similitude, même en apparence entre ces différents pays.

Caroline de Camaret: Alors, effectivement en France vous savez, on avait lancé l'idée d'une taxe carbone et aujourd'hui elle est abandonnée, mais en revanche on insiste sur la taxe carbone nécessaire aux frontières, pour pouvoir avoir une fiscalité verte un jour à 27.

Jean-Claude Juncker: Indépendamment des détails techniques qui sont nombreux et difficiles, je partage l'idée qu'il faudra que l'Europe réfléchisse davantage à l'instauration d'une taxe carbone aux frontières. Il n'est tout de même pas normal, je prends l'exemple de la sidérurgie, que nous importions de Chine ou d'ailleurs des produits en acier, dont la production n'est soumise à aucune contrainte d'ordre environnemental, alors que parallèlement à cela nous imposerions, en leur imposant des contraintes écologiques, des conditions sévères à nos propres producteurs d'acier.

Caroline de Camaret: Ils vont appeler ça du protectionnisme, les Chinois.

Jean-Claude Juncker: Non je n'appelle pas ça du protectionnisme, parce que je voudrais qu'en Europe nous prenons très au sérieux nos engagements en matière de lutte contre le changement climatique, mais cela ne fait pas de sens d'imposer en Europe des règles qui ne sont pas observées ailleurs. La pollution sera en Chine et le chômage sera en Europe, et donc je crois que le président français a tout à fait raison lorsqu'il dit, voilà, nous discutons entre nous de l'instauration d'une telle taxe aux frontières.

Caroline de Camaret: Il a donc un soutien en votre personne sur ce chapitre?

Jean-Claude Juncker: Je soutiens Nicolas Sarkozy, parce que je soutiens le bon sens.

Caroline de Camaret: Merci à vous d'avoir été en notre compagnie, Jean-Claude Juncker. Merci de cet entretien. Restez sur France 24 pour plus d'informations.

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