Jean-Claude Juncker au sujet du Conseil européen et des euro-obligations

Jean-Claude Juncker: Bonjour, Monsieur Aphatie.

Jean-Michel Aphatie: Vous allez retrouver tout à l'heure à Bruxelles vos 26 collègues chefs d'État et de gouvernement pour un Conseil à Bruxelles où vous évoquerez notamment la situation de l'euro. Les attaques contre l'euro ne sont pas terminées, disait mardi à Paris François Fillon. Partagez-vous ce sentiment, Jean-Claude Juncker?

Jean-Claude Juncker: Je partage ce sentiment. Les marchés financiers ont perdu les données fondamentales en Europe de vue et ne les comparent pas aux données fondamentales des autres qui sont pires. Les États-Unis ont un déficit et une dette publique plus élevés, même remarque pour le Japon. Mais on se concentre sur les faiblesses, les quasi-faiblesses de l'Europe.

Jean-Michel Aphatie: Les faiblesses de l'Europe, c'est peut-être le manque de solidarité, l'expression des Allemands qui ont l'air de plus en plus réticents à participer à l’aventure de l'euro?

Jean-Claude Juncker: Non, je ne crois pas que l'Allemagne ait perdu en élan lorsqu'il s'agit de la défense de l'euro. En fait, nous n'assistons pas à une crise de l'euro. Nous connaissons une crise grave de dettes publiques dans certains États membres de la zone euro et nous allons essayer de mettre en place ce qui fut déjà décidé par les ministres des Finances de la zone euro, un mécanisme permanent de crise, pour que le jour venu nous ayons à notre disposition tous les moyens que commande la capacité de réaction de la zone euro.

Jean-Michel Aphatie: Mais, par exemple, vous avez proposé vous-même un mécanisme de solidarité, ça s'appelle l'euro-obligation. C'est un peu compliqué, mais ça devrait permettre à plusieurs pays d'emprunter ensemble pour emprunter moins cher, et puis c'est aussi la manifestation d'une vraie solidarité. Vous avez proposé cette solution et c'est Angela Merkel qui s'y oppose. Tout ça doit fragiliser la confiance des marchés, non?

Jean-Claude Juncker: Je crois qu'il faudra que nous organisions en Europe la bonne intersection vertueuse entre la solidité et la solidarité.

Les États membres qui divergent par rapport aux règles du Pacte de stabilité, qui accumulent les déficits, qui assistent à l'augmentation de leur niveau d'endettement public, doivent tout faire, c'est ce qu'on appelle la conditionnalité de [inaudible], pour abaisser leurs niveaux de déficit et endettement.

Et il faut en contrepartie, si solidité il y avait et il y aura solidité, des instruments de solidarité. Je propose donc de mutualiser une partie des dettes publiques nationales, pour servir cette dette publique nationale mutualisée par des emprunts communs.

Cela ne conduira aucunement au même taux d'intérêt pour tous les pays, qu'ils soient vertueux ou non, mais cela permettrait d'alléger le poids de la dette dans certains pays. Il y aura toujours une différence au niveau des taux d'intérêt entre la France, l'Allemagne, le Luxembourg, l'Autriche, les Pays-Bas et les pays, disons, moins vertueux que les nôtres.

Jean-Michel Aphatie: En tout cas pour retrouver la confiance et pour que les choses aillent mieux sur les marchés financiers, il faut s'engager dans la réduction des déficits publics, donc dans la rigueur budgétaire.

Jean-Claude Juncker: Il n'y a pas d'alternative, ni d'autres option que celles qui consistent dans la consolidation de nos finances publiques.

Nous avons dû, sous l'effet de la crise et pour remplacer l'absence de la demande privée par une augmentation de la demande publique, augmenter nos déficits et nos niveaux d'endettement. Mais maintenant l'heure est venue où nous devons reconsolider nos finances publiques.

Il faut de la rigueur, il faut de la rigueur partout et surtout les pays qui sont lourdement endettés et qui accusent des déficits budgétaires insupportables, il faudra que ces pays-là, dans leur propre maison, si j'ose dire, fassent le ménage et donnent à l’évolution de leurs finances publiques un profil qui démontrera leur volonté de corriger les excès auxquels ils se sont adonnés.

Jean-Michel Aphatie: Donc, la seule voie c'est celle-là. On note que les opinions publiques ont du mal à accepter ce message. Des manifestations en Grèce se sont déroulées contre le plan de rigueur. On a même noté, c'est une dépêche qui a été expédiée hier, qu'il y avait devant votre bureau à Luxembourg 800 personnes pour manifester contre la politique que vous menez. Donc, la contestation des opinions publiques s'exprime un peu partout.

Jean-Claude Juncker: Qu'il y ait contestation, cela me paraît assez normal.

Les syndicats que j'ai vus hier ont lourdement insisté sur la nécessité qu'il y a de ne pas pratiquer une politique d'austérité, qui casserait les ressorts de la croissance. Sur ce point, les syndicats ont sans doute raison. Il faut consolider, assainir, sans tuer la croissance.

Et il faut faire en sorte que l'Europe devienne plus complète, que le projet européen devienne plus complet. Et donc, cette insistance des syndicats, les syndicats nationaux et les syndicats européens, pour voir la mise en place d'une dimension sociale plus développée en Europe, me paraît être une revendication qui n'est pas excessive, mais qui est normale et juste.

Jean-Michel Aphatie: Pensez-vous que parmi les pays endettés, le Portugal doit faire appel au fonds de solidarité, que vous avez mis en place, pour gérer la dette qui est la sienne aujourd'hui?

Jean-Claude Juncker: Je ne voudrais pas alimenter les spéculations qui déjà agitent les marchés. Je considère que le Portugal est en train de prendre les mesures de consolidation budgétaire qui sont conséquentes et cohérentes. Le Portugal vient d'annoncer une cinquantaine de mesures qui prouvent à l'évidence que le Portugal s'engage sur la voie des réformes structurelles pour augmenter son potentiel de croissance.

Je crois qu'il est malsain que les dirigeants européens commentent les attitudes des uns et des autres, et en ce faisant donnent de la nourriture aux marchés financiers. Je voudrais que l'Europe aujourd'hui et demain prouve et démontre sa volonté de tout faire pour assurer la stabilité financière de la zone euro.

C'est ce que nous avons fait jusqu'à présent. Nous avions sept réunions au niveau des chefs d'État et de gouvernement pendant cette année. C'est du jamais vu. Et nous démontrerons notre volonté de tout faire pour assurer la stabilité financière dans la zone.

Jean-Michel Aphatie: Donc, c'est aujourd'hui, demain à Bruxelles une réunion importante du Conseil européen pour l'avenir de l'euro. On peut le dire comme ça?

Jean-Claude Juncker: C'est une réunion importante, dans la mesure où il faudra qu'après cette réunion les marchés financiers prennent conscience du fait que les dirigeants de l'Europe sont décidés à tout, pour faire en sorte que la stabilité financière au sein de la zone euro soit assurée.

Nous ne sommes pas là pour faire des cadeaux aux banquiers, nous ne sommes pas là pour faire des plaisirs au grand capital. Nous sommes là pour protéger les intérêts des citoyens de l'Union européenne et notamment ceux qui font partie des États membres de la zone euro.

Et je ne doute pas un seul instant que nous soyons à même de démontrer, de re-souligner notre volonté farouche de défendre la stabilité financière de la zone.

Jean-Michel Aphatie: Merci, Jean-Claude Juncker. Bonne réunion à Bruxelles. Vous étiez l'invité de RTL ce matin, et une bonne journée.

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