"Des Africains choisissent leurs frontières", Jean Asselborn au sujet du processus démocratique ayant abouti à l'indépendance du Sud-Soudan

Fabien Grasser: Le Sud-Soudan va officiellement proclamer son indépendance samedi. Que vous inspire l'émergence de ce 193e pays?

Jean Asselborn: Il faut tout d'abord insister sur le fait que la naissance de cet Etat résulte d'un processus démocratique. L'ONU n'avait pas demandé que le pays soit coupé en deux, ce sont l'Union africaine et l'Afrique du Sud qui avaient appuyé ce processus qui, je le répète, a été totalement démocratique. Je pense qu'il est très important de souligner que c'est la première fois dans l'histoire que des Africains décident de leurs frontières dans cet ordre de grandeur. Les frontières africaines avaient été découpées par les puissances coloniales européennes au XIXe siècle.

Fabien Grasser: Lors du Conseil de gouvernement du 22 juin, II avait été annoncé que le Luxembourg allait reconnaître le nouvel Etat en indiquant qu'il avait soutenu depuis le début le processus ayant abouti à l'indépendance. De quelle nature était ce soutien?

Jean Asselborn: Il faut d'abord dire qu'on ne pourra officiellement reconnaître le Sud-Soudan qu'après le 9 juillet, date de sa proclamation officielle d'indépendance. Ensuite, je veux signaler que le Luxembourg n'a aucun intérêt direct au Sud-Soudan. C'est à travers l'Union européenne que nous avons soutenu la tenue du référendum et la possibilité pour I'Union européenne d'être présente politiquement, socialement, économiquement au Sud-Soudan. L'Europe doit contribuer au développement rapide du Sud-Soudan.

Fabien Grasser: Le Luxembourg sera-t-il représenté samedi à Juba lors de la cérémonie officielle de proclamation de l'indépendance?

Jean Asselborn: Non, le Luxembourg n'a pas été invité. Mais l'Union européenne sera bien évidemment officiellement représentée (NDLR la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a annoncé hier soir qu'elle serait présente).

Fabien Grasser: Des tensions sont à nouveau apparues avec le Nord-Soudan dont les troupes occupent Abyei et des combats se poursuivent dans le Kordofan-Sud, des zones limitrophes entre les deux futurs États. Existe-t-il un risque de nouvel embrasement?

Jean Asselborn: Il s'agit des seules régions du Nord où il y a du pétrole. Les troupes de Khartoum sont à Abyei en réaction à une provocation des troupes du Sud-Soudan au cours de laquelle 22 soldats nordistes ont été tués. Les Ethiopiens vont déployer plusieurs milliers d'hommes dans la région sous mandat de l'ONU pour tenter de ramener le calme et prévenir de nouveaux combats. La question d'Abyei devait être réglée par un référendum, mais il n'a pas eu lieu. Cependant, il nous faut aussi envoyer un signal fort au Nord-Soudan, démontrer qu'il est également important.

Fabien Grasser: Car avec l'indépendance du Sud, certains évoquent un risque d'éclatement du reste du Soudan...

Jean Asselborn: Tenir compte des intérêts du Nord est une recommandation que nous font beaucoup de pays africains, car ce risque existe. Cela dit, quand on parle des Etats africains, il faut ajouter que l'indépendance du Sud-Soudan n'est pas toujours bien vue, car certains craignent que cela réveille des velléités d'indépendance dans leur propre pays.

Fabien Grasser: Le président Omar el-Béchir a reconnu le référendum de janvier. Il s'agit d'un geste fort qu'il a adressé à la communauté internationale, alors même qu'il est inculpé par la Cour pénale internationale pour génocide et crimes de guerre au Darfour. Peut-il négocier quelque chose?

Jean Asselborn: Béchir a reconnu le référendum, reste à savoir s'il va reconnaître l'indépendance, car il est souvent imprévisible. Mais en ce qui concerne une éventuelle contrepartie, je pense que la politique commettrait une énorme faute si elle voulait se substituer à la justice.

Fabien Grasser: Plus généralement sur l'Afrique, vous-même, mais aussi le ministre de l'Economie y multipliez les déplacements avec le sentiment que l'on sort d'une relation purement basée sur l'aide à la coopération...

Jean Asselborn: Il y a en effet un changement de paradigme initié à la fin de la présidence luxembourgeoise de I'UE en 2005, où nous avons considéré qu'il faut voir plus large, engager un dialogue politique. Le Luxembourg a ainsi établi une représentation permanente au siège de l'Union africaine, à Addis-Abeba. Même si la coopération reste le point le plus important dans nos relations avec l'Afrique, il faut reconnaître que le continent possède un potentiel économique énorme. Je constate dans mes échanges avec mes homologues africains que le Luxembourg est assez bien vu et son point de vue écouté, car il n'a jamais été une puissance coloniale. Nous n'avons jamais donné de leçons aux Africains sur la manière dont ils doivent vivre.

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