Jean-Claude Juncker au sujet du Portugal et du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011

Stéphanie Antoine: Bonjour à tous et bienvenu dans l'entretien sur France 24. Nous sommes à Bruxelles, où a lieu le Conseil européen, la réunion des chefs d'État et chefs de gouvernement de l'Union européenne. Mon invité est Jean-Claude Juncker, qui est à la fois Premier ministre du Luxembourg et également président de l'Eurogroupe, qui rassemble donc les pays de la zone euro. Bonjour, Monsieur le Premier ministre.

Jean-Claude Juncker: Bonjour Madame.

Stéphanie Antoine: Merci beaucoup d'être avec nous.

Alors, tous les yeux sont tournés vers le Portugal. José Socrates, le Premier ministre, a donné sa démission. Il n'a pas été soutenu quand il a présenté son quatrième paquet de mesures d'austérité au parlement. Il a dit lui-même que ce refus finalement du parlement allait peut-être précipiter la demande d'un plan de sauvetage au Portugal. Alors, faut-il s'attendre au Portugal un scénario du type grec ou irlandais ?

Jean-Claude Juncker: Je regrette d'abord que le quatrième paquet de consolidation fut rejeté par le parlement portugais. Nous avions pensé, puisque nous l'avions approuvé, que ce programme d'ajustement de consolidation passerait la rampe parlementaire et nous sommes un peu malheureux.

Stéphanie Antoine: ça faisait un moment qu'on pensait qu'il ne passerait pas la rampe.

Jean-Claude Juncker: Les trois paquets précédents ont trouvé l'appui de l'opposition parlementaire, et donc nous avions tout de même, en le ficelant, bon espoir de voir l'opposition parlementaire se rendre compte du fait, qu’il y avait nécessité d'adopter ce paquet, dont je regrette son rejet.

Je ne voudrais pas entrer maintenant dans le jeu des spéculations pour savoir si oui ou non le Portugal, d'ici 3 jours, 3 semaines ou 2 mois, va frapper à la porte de la facilité de stabilité qui est en place. La question qui se pose est de savoir si un gouvernement en affaire courante peut prendre une telle décision.

L'autre question qui se pose est de savoir si la Finlande, qui a un parlement qui ne siège plus et qui connaîtra des élections le 17 avril, trouverait les moyens pour approuver l'entrée du Portugal sous le parapluie, si j'ose dire. Donc, il y a beaucoup d'éléments d'incertitude [interrompu]

Stéphanie Antoine: [inaudible] sauvetage, ce parapluie de [interrompu]

Jean-Claude Juncker: Oui.

Stéphanie Antoine: Beaucoup d'éléments à prendre en considération, mais c'est un scénario probable. À votre avis ?

Jean-Claude Juncker: Je ne l'exclue pas.

Stéphanie Antoine: On parle justement d'un paquet qui serait à peu près de 75 milliards d'euros. C'est une somme qui vous semble possible ? Vous allez en discuter avec [interrompu]

Jean-Claude Juncker: Si jamais le Portugal devait demander un support européen, cet ordre de grandeur me paraît approprié.

Stéphanie Antoine: Est-ce que vous allez en discuter, j'imagine, avec José Socrates, Premier ministre démissionnaire, qui sera présent au Conseil européen ?

Jean-Claude Juncker: Oui, je vais parler avec mon ami Socrates et je verrai le chef de l'opposition parlementaire, avant la réunion du Conseil européen, pour mieux saisir le niveau de ses ambitions et l'étendue de ses attentes.

Stéphanie Antoine: Quel sera en fait le délai de la mise en place d'un tel plan ? Pourrait-ce prendre deux jours? Par exemple, à la fin de ce Conseil, pourrait-il y avoir une décision ?

Jean-Claude Juncker: Non, parce qu'il faudra que la Commission et la Banque centrale européenne jettent un regard sur la situation exacte du Portugal, que les deux connaissent d'ailleurs bien.

Mais il faudra que le Portugal prenne d'autres initiatives. Une chose est de rejeter un paquet de consolidation budgétaire, mais une autre chose est de demander l'appui européen sans programme. Sans programme ça n'ira pas. Nous avons à l'égard du Portugal des exigences à formuler.

La situation des finances publiques portugaises n'est pas bonne ; le déficit budgétaire sera probablement revu à la hausse, et il faudra que le Portugal atteigne un niveau de déficit en 2012 de 4,6%, et en 2013 un niveau de déficit inférieur à 3%. L'opposition parlementaire disant pour le reste, elle, qui sera peut-être au gouvernement demain, qu'elle compte se tenir aux limites telles qu'elles furent dressées par le Conseil européen.

Stéphanie Antoine: En tout cas, c'est vrai que ça pourrait leur permettre de remplir leurs échéances sur la dette, puisqu'on sait qu'avant juin ils doivent financer 9 milliards d'euros de dettes.

Jean-Claude Juncker: Il est difficile de savoir quelle sera la réaction exacte des marchés financiers. Probablement les spreads, comme on dit, vont connaître une correction vers le haut. Le financement du Portugal est devenu plus difficile avec la non-décision parlementaire d’hier. Mais le Portugal, tous les partis politiques portugais doivent savoir que la solidarité européenne a pour contrepoids et pour contre-prix un effort de solidité du côté portugais.

Stéphanie Antoine: Alors, évidemment, tout le monde pense aussi à l'Espagne, un pays qui est tout de même beaucoup plus important, qui a aussi du mal à financer sa dette sur les marchés. Que pensez-vous de la situation espagnole, Jean-Claude Juncker ?

Jean-Claude Juncker: J'espère que, si jamais le Portugal devait s'adresser à la facilité de stabilité, que l'Espagne ne va pas devenir la cible des marchés financiers dans ce jeu domino un peu, à vrai dire, stupide, qui voudrait qu'un pays après l'autre soit testé par les marchés financiers pour voir [interrompu]

Stéphanie Antoine: Stupide, mais réel.

Jean-Claude Juncker: Oui, mais enfin c'est une réalité stupide. Parce qu'il n'y a pas de raison de mettre à mal l'Espagne.

Bien sûr, l'Espagne connaît de très sérieux problèmes, et le gouvernement espagnol et le parlement espagnol ont réagi avec promptitude aux exigences que nous avions formulées au niveau de l'Europe. Et je ne vois pas l'Espagne dans une situation comparable à celle du Portugal.

Stéphanie Antoine: Alors, la Grèce, là les Européens, le FMI ont négocié, renégocié avec les Grecs sur, à la fois un, rééchelonnement du prêt, et également une négociation sur les taux, donc là il s'agit de la dette publique, du prêt public.

Est-ce que les Grecs peuvent se permettre, peuvent se passer d'une restructuration de dette privée, c'est-à-dire de renégocier avec les créanciers privés, Monsieur le Premier ministre ?

Jean-Claude Juncker: Je crois que la question d'une restructuration de la dette publique grecque ne se pose pas.

D'ailleurs, si nous devions restructurer la dette publique grecque, nous donnerions naissance à tout un cortège d'autres problèmes, y compris un problème de contingent qui se présenterait dans la mouvance d'une telle démarche.

Stéphanie Antoine: C'est un peu ce qu'on fait en rééchelonnant d'un côté et en négociant le taux de dette publique.

Jean-Claude Juncker: Oui, mais nous avons trouvé une façon intelligente d'augmenter, d'accroître le nombre d'années dont la Grèce peut bénéficier, avant d'avoir remboursé sa dette. Nous sommes revenus sur le niveau du taux d'intérêt qui est demandé, qui a été réduit. Et je crois que c'est une bonne façon de résoudre le problème grec, étant entendu que le gouvernement grec, lui, s'est engagé à privatiser pour un montant assez important de 50 milliards [interrompu]

Stéphanie Antoine: Donc, les privatisations pourraient prémunir le pays contre justement une restructuration de la dette privée ?

Jean-Claude Juncker: Ce ne sera pas suffisant pour résoudre tous les problèmes grecs, puisqu'il y a tant de réformes structurelles que la Grèce doit entreprendre, et que la Grèce a déjà entreprises, mais tout cela forme la masse critique dont la Grèce sans doute aura besoin pour se sortir de la situation peu agréable dans laquelle elle s'est enfourrée.

Stéphanie Antoine: Les Européens de la zone euro vont disposer – c'est en discussion depuis plusieurs semaines – à partir de 2013 d'un fonds de sauvetage important, puisqu'on parle de 500 milliards d'euros de force de frappe, 80 milliards d'euros de capital. Vous êtes en train, finalement, de constituer en Europe une institution financière qui sera même plus puissante que le FMI ?

Jean-Claude Juncker: Nous voulions mettre en place au début de la crise un mécanisme permanent de stabilité. C'est la raison pour laquelle nous avons, pour sous-tendre ce mécanisme permanent de stabilité, décidé de modifier le traité pour lui donner une assise juridique.

Et le montant global de ce mécanisme permanent de stabilité s'élèvera à 700 milliards, ce qui lui donne une capacité d'emprunt effective de 500 milliards, qui sera sous-divisée en un montant de capital à mettre sur la table, si je peux m'exprimer un peu trop simplement, de 80 milliards et 620 milliards de garantie et de capital appelable.

Stéphanie Antoine: Est-ce de nature à rassurer les marchés, d'avoir un tel fonds en Europe ?

Jean-Claude Juncker: Je crois, puisque l'ampleur de ce fonds, la structure de son capital ; les mécanismes de pricing ; la gouvernance même de ce fonds dénotent la suffisance de la volonté des États membres de la zone euro de tout faire pour assurer la stabilité financière en Europe. Nous avons maintenant une force de frappe à notre disposition, que nous n'avions pas au début de la crise.

Stéphanie Antoine: Donc il s'agit d'un progrès.

Alors, très vite, le Japon vit les conséquences d'une catastrophe naturelle effroyable, catastrophe nucléaire. Ça a des conséquences en France et en Europe sur la nucléaire, la chancelière allemande a déjà dit qu'elle voulait sortir du nucléaire civil. Allez-vous discuter d'une mise en place d'une norme de sécurité du nucléaire en Europe, pendant ces deux jours au Conseil européen ?

Jean-Claude Juncker: Nous allons parler évidemment du nucléaire et des conséquences qu'il s'agira de tirer de la malheureuse et dramatique expérience japonaise.

Je pars du principe que nous allons décider, comme le préfigure une décision des ministres en charge de l'énergie, des stress-tests là encore, mais cette fois-ci en matière de centrales nucléaires. Je voudrais que ces tests soient exigeants et que, si jamais, dans le cas d'une centrale nucléaire donnée, il devrait s'avérer que les conditions de sécurité ne sont pas garanties, il faudra que les gouvernements concernés aient le courage de fermer de telles centrales nucléaires.

On n'a pas le droit de tromper les gens sur les questions de sécurité. Donc, ces stress-tests doivent être conduits avec une extrême sévérité. Et je voudrais que ces tests puissent être conduits par des experts qui n'aient pas de liens particuliers avec l'industrie nucléaire.

Stéphanie Antoine: D'accord, donc donner une sorte d'impartialité, j'imagine, à ces stress-tests. Encore faut-il déterminer les normes, enfin tout ça n'est pas simple. Sur la Libye, une dernière question [interrompu]

Jean-Claude Juncker: Il faut se mettre d'accord sur un cortège de normes. Je veux dire, les normes doivent être connues avant que les tests ne soient lancés. Les citoyens européens, et les gouvernements d'ailleurs, ont droit de savoir, d'après quels critères seront menés ces stress-tests.

Stéphanie Antoine: Une dernière question sur la Libye. Finalement, les divergences sur l'intervention entre la France et l'Allemagne, également différentes conceptions sur le rôle de l'OTAN de ce dossier en Libye – est-ce que finalement ils n'ont pas mis fin à tout espoir d'une diplomatie européenne commune, Monsieur le Premier ministre ?

Jean-Claude Juncker: On ne peut pas dire que nous ayons été particulièrement performants en matière de politique extérieure de sécurité commune, au moment où il s'agissait d'organiser l'intervention libyenne. Voilà deux grands États membres qui diffèrent en matière de l'organisation du commandement de l'opération en cours, et cela donne l'impression que parfois nous nous lançons comme ça dans des grandes opérations, certes nécessaires, sans avoir réfléchi à toutes les implications et il faudra que [interrompu]

Stéphanie Antoine: Vous le regrettez ?

Jean-Claude Juncker: Oui, parce que j'aurais voulu que cela se fasse dans une atmosphère que aurait été plus consensuelle lorsqu'il s'agit de l'organisation de l'essentiel des suites.

Stéphanie Antoine: Merci beaucoup, Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker: Merci Madame.

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