Interview de Xavier Bettel avec Paperjam

"Je ne suis pas Merlin l'enchanteur"

Interview: Paperjam (Matthieu Croissandeau et Nicolas Léonard)

Paperjam: Xavier Bettel, votre nouveau ministre de l'Économie a déclaré, avant de prendre ses fonctions: "Au Luxembourg, nous sommes trop focalisés sur la croissance économique." Est-ce que ce n'est pas une erreur de casting?

Xavier Bettel: Tout dépend de la façon dont vous le comprenez. Vouloir une croissance tous azimuts, sans regarder ce que l'on fait ni où on le fait, sans réflexion du point de vue de l'aménagement du territoire ou de l'impact sur l'environnement, serait une erreur. Ce qu'a dit Franz Fayot, c'est tout simplement que l'on veut une croissance réfléchie, une croissance qualitative.

Paperjam: Il ne s'agit donc pas de décroissance?

Xavier Bettel: Non, non, non! On a un accord de coalition qui va dans le sens d'une croissance saine, équilibrée et intelligente. Ce n'est pas en contradiction avec la politique que nous avons menée jusqu'à présent. Étienne Schneider, son prédécesseur, ne prônait pas, lui non plus, la croissance juste pour la croissance.

Paperjam: Il était plutôt probusiness, Étienne Schneider...

Xavier Bettel: Mais Franz Fayot n'est pas antibusiness. Ce n'est pas parce qu'il dit qu'il veut une croissance intelligente qu'il est contre le business. Entre croissance économique et qualité de vie, à nous de trouver le juste équilibre.

Paperjam: Cette recherche de la croissance à tout prix existait-elle avant votre arrivée au pouvoir en 2013?

Xavier Bettel: Non, mais je me souviens, quand j'étais plus jeune, avoir entendu Jean-Claude Juncker parler d'un Luxembourg à 700.000 habitants. On savait donc qu'il y aurait une forte croissance, mais on n'a pas prévu les conséquences. On n'a pas mené une politique d'aménagement du territoire adéquate, on n'a pas investi dans les transports ou les écoles nécessaires. La politique, ce n'est pas seulement réagir, c'est aussi anticiper. Cela n'a pas été fait à l'époque. Je le regrette.

Paperjam: À quelle échéance anticipez-vous un Luxembourg à 1 million d'habitants?

Xavier Bettel: Dire qu'on veut un pays à 750.000 ou 1 million d'habitants n'a pas de sens. Je veux une évolution qui soit suivie et anticipée en se dotant des infrastructures nécessaires. Il faut préserver notre qualité de vie, construire des logements, investir dans les transports adaptés. Je n'ai pas envie que l'avenir de ce pays se résume aux embouteillages, deux heures le matin et deux heures le soir. Je veux un pays qui continue à être compétitif au niveau économique, avec une croissance qui bénéficie à tous sans hypothéquer l'avenir. Si on me propose demain une industrie qui déboise, détruit l'environnement sans créer d'emplois, je dirai non.

Paperjam: Le Luxembourg peut dire non parce qu'il a les moyens de se le permettre...

Xavier Bettel: On ne dit pas non pour dire non. Si des entreprises choisissent de s'installer ici, il faut qu'elles créent de l'emploi, qu'elles aient une plus-value et qu'elles s'inscrivent dans ce concept de croissance intelligente.

Paperjam: Cela veut dire que vous comprenez que des Luxembourgeois aient dit non à Knauf, à Fage et, peut-être demain, à Google?

Xavier Bettel: C'est Knauf qui a choisi de ne pas venir au final...

Paperjam: Ils ne se sont pas sentis accueillis à bras ouverts...

Xavier Bettel: On n'avait pas terminé toutes les discussions. Pour Fage comme pour Google, les études sont encore en cours. Qu'il y ait des gens qui soient contre tout, il y en aura toujours. Que des gens aient des inquiétudes, c'est normal. Des réunions publiques sont organisées pour en discuter et expliquer. Je suis un défenseur du projet Google, vous le savez. Je trouve que c'est un projet important pour le Grand-Duché de Luxembourg. Mais il faut reconnaître aussi que lorsqu'on regarde le projet tel qu'il est aujourd'hui, ce n'est déjà plus le même que le projet initial, en termes de consommation d'énergie, par exemple. C'est pour cela qu'il est essentiel de pouvoir se mettre autour d'une table pour voir comment on peut réduire le plus possible l'impact sur l'environnement.

Paperjam: La deuxième partie de la citation de Franz Fayot est également intéressante. il dit: "Nous perdons parfois de vue que des gens souffrent aussi sous cette croissance." Qui souffre?

Xavier Bettel: Quand je vois les embouteillages, vous n'allez pas me dire que les gens y restent bloqués des heures de gaieté de cœur...

Paperjam: Au-delà des problèmes de trafic, est-ce qu'il n'y a pas aussi tout simplement des exclus de la croissance? Dans son dernier rapport Travail et cohésion sociale, le Statec estime que 105.000 personnes sont aujourd'hui exposées au risque de pauvreté...

Xavier Bettel: Elles sont exposées à ce risque notamment à cause du problème du logement. Certaines personnes dépensent plus de la moitié de leur salaire, quand ce n'est pas 60 ou 70%, pour se loger. C'est une situation très difficile, c'est vrai.

Paperjam: Un résident sur six passe à côté du miracle luxembourgeois. C'est énorme, non?

Xavier Bettel: Ils ne passent pas à côté. Je ne peux pas laisser dire cela parce que, encore une fois, la plupart du temps, c'est le problème du logement qui est en cause. Nous avons aussi une politique sociale qui permet de s'en sortir, même si je ne peux évidemment pas m'en contenter. Je n'ai pas envie que les gens s'en sortent, j'ai envie que les gens vivent mieux. Mon but n'est donc pas de gérer la précarité, mais de sortir les gens de la précarité. Et ça, j'insiste, on ne peut le faire qu'avec de la croissance.

Paperjam: Sur le logement, justement, est-ce que le gouvernement va assez vite et assez fort?

Xavier Bettel: Il faut augmenter le parc locatif. L'État doit y prendre part en construisant et en mettant en location plutôt que de toujours chercher à vendre comme il le faisait avant. On a de grands projets. Avec ArcelorMittal par exemple, on a des terrains pour créer des milliers de logements. Le gouvernement est par ailleurs en train de travailler sur tout ce qui concerne le foncier et les taxes foncières. Ily a aujourd'hui des logements inhabités. Je suis libéral mais je pense que celui qui décide, pour des raisons spéculatives, de garder un logement vide pendant plusieurs années doit être taxé.

Paperjam: Comment? Et combien?

Xavier Bettel: Avec les communes, on doit vraiment se mettre d'accord. On ne demandera pas la même taxe selon la localisation. On doit aussi permettre de conserver un logement vide pendant six mois ou un an, c'est normal, s'il y a eu un décès dans une famille, ou si un enfant est parti étudier à la fac, par exemple. Mais nous inciterons les propriétaires de logements inoccupés à mettre leurs biens sur le marché locatif. Et s'ils refusent, nous les taxerons pour financer la construction des logements dont le pays a besoin.

Paperjam: La fiscalité sera-t-elle le seul levier?

Xavier Bettel: Personnellement, j'ai beaucoup de mal avec l'expropriation. Je pense que l'on doit plutôt mettre des incitatifs dans les deux sens, c'est-à-dire encourager le propriétaire qui loue et sanctionner celui qui refuse. La même logique doit s'appliquer pour les propriétaires de terrains constructibles. Je peux comprendre, quand on a un ou deux terrains, qu'on ait envie de les conserver pour un projet ou pour ses enfants. Mais si vous en avez 10 ou 15 et que vous les conservez sans construire dans l'espoir d'en tirer plus d'argent plus tard, ce n'est pas bien.

Paperjam: Selon le Liser, 3.000 personnes possèdent la moitié du potentiel foncier du pays. Qu'est-ce que vous avez envie de leur dire?

Xavier Bettel: Ne mettons pas tout le monde dans le même panier. Sur ces 3.000 personnes, vous avez celui qui n'a qu'un ou deux terrains et celui qui en possède 200...

Paperjam: Alors prenons celui qui en a 200... Qu'avez-vous envie de lui dire?

Xavier Bettel: Il faut voir aussi s'il s'agit d'un terrain constructible ou non constructible, ou s'il est classé en zone verte, par exemple, auquel cas nous ne le sanctionnerons pas, évidemment. Mais je pense que le propriétaire d'un terrain sur lequel on pourrait construire dès demain et qui le garde pour des raisons spéculatives doit voir son impôt foncier augmenter chaque année: X la première année, X fois 2 l'année d'après, puis X fois 4, X fois 6, etc.

Paperjam: Si le logement est à ce point une de vos priorités, pourquoi ne pas vous y être attelé davantage dès votre réélection?

Xavier Bettel: Parce qu'on est en train de travailler sur l'ensemble d'une réforme fiscale et qu'on ne fait pas un impôt foncier en claquant des doigts! Si c'est pour bâcler un texte et se retrouver avec des conséquences fâcheuses, je préfère ne pas le faire. Regardez, on a toujours pensé jusqu'à présent qu'en augmentant les primes, on allait aider les personnes à se loger. Or, en augmentant les primes, on n'a fait qu'augmenter les prix parce que les propriétaires ont tendance à calculer pour s'aligner. Donc on voit que ce qu'on a fait pendant des années n'était pas nécessairement la bonne politique.

Paperjam: Le quart-taux non plus n'a pas eu l'effet escompté...

Xavier Bettel: Si, cela a marché.

Paperjam: Cela n'a pas enrayé la hausse des prix.

Xavier Bettel: Non, mais cela a permis que des terrains soient vendus et que des choses se fassent. Je ne suis pas Merlin l'enchanteur. Si j'avais la formule magique pour régler le problème, je le ferais! Mais demandez-vous plutôt pourquoi ce problème n'a pas été réglé depuis 30 ans. La politique du logement ne peut pas se résumer à une seule mesure qui résoudrait tout. C'est un ensemble de décisions qui doit s'articuler en jouant sur l'impôt foncier, la fiscalité, le quart-taux, la nature du terrain, le périmètre...

Paperjam: Juncker disait que le logement devait être l'affaire du chef...

Xavier Bettel: J'ai vu l'efficacité quand c'était l'affaire du chef, donc je préfère gérer ce dossier au niveau collégial.

Paperjam: Puisqu'il n'existe pas de solution miracle, il faut donc s'attendre à voir les prix progresser de 5% en moyenne par an, comme c'est le cas depuis 10 ans?

Xavier Bettel: C'est une utopie de dire qu'on va réduire les prix de 20 ou 30% du jour au lendemain. Depuis des décennies, on s'est contenté de donner des médicaments pour tel ou tel problème. Il faut désormais attaquer la pathologie à la racine et ne plus se contenter de traiter les symptômes. Ces mesures seront peut-être plus difficiles, mais il est important de les prendre.

Paperjam: Et construire en hauteur?

Xavier Bettel: Cela relève du pouvoir des communes. Mais dans certains quartiers, je me dis qu'on pourrait aisément ajouter trois ou quatre étages sans aucun problème. Ce n'est pas moi qui bloquerai!

Paperjam: Tous les travaux d'infrastructures sont aussi des désagréments au quotidien. Avec la multiplication des chantiers, circuler devient parfois infernal...

Xavier Bettel: Alors, je vais vous le dire tout net: les travaux, c'est très bien! Je sais que c'est très dur pour certains - je pense notamment aux commerçants de la Gare - mais on n'a pas le choix. Il faut mordre sur sa chique. Si cela avait été prévu et programmé depuis 20 ans, on aurait pu y aller crescendo. Mais là, si on ne fait pas ces travaux, on va étouffer! Toutes ces infrastructures sont nécessaires. Jamais un gouvernement n'a investi autant. Et rappelez-vous quand on a fait les travaux du tram au Kirchberg, au début, les gens disaient que c'était une catastrophe, mais aujourd'hui, c'est quand même un sacré succès.

Paperjam: Combien de temps cela va-t-il durer? Votre ministre François Bausch parle de 2023.

Xavier Bettel: Alors moi, j'ai un grand principe: je ne donne jamais de date pour un chantier. J'ai été maire, je sais ce que c'est... Normalement, c'est toujours plus long et plus cher [rires]. Aujourd'hui, on est dans les clous du point de vue des finances et du respect des dates.

Paperjam: Une de vos principales mesures pour les transports publics, c'est la gratuité, qui entrera en vigueur le mois prochain. Est-ce que ce n'est pas un gadget?

Xavier Bettel: Si la présidente de la Commission européenne a dit le mois dernier que nous étions un exemple à suivre, c'est bien que ce n'est pas un gadget. On ne fait pas que parler d'environnement, on agit aussi. Aujourd'hui, les transports et les embouteillages font partie des problèmes de notre environnement. Essayer de les résoudre en encourageant les gens à prendre les transports publics est un choix politique fort.

Paperjam: Même les écologistes ne jugeaient pourtant pas cette mesure prioritaire...

Xavier Bettel: Oui, mais mon parti l'a demandée et a tenu à la faire figurer dans l'accord de coalition, car nous sommes convaincus que c'est important.

Paperjam: Ça va vraiment faire baisser le trafic routier?

Xavier Bettel: En tout cas, c'est le but.

Paperjam: De combien? Il n'y a pas d'engagement chiffré...

Xavier Bettel: C'est difficile à dire car cela s'inscrit dans une politique de mobilité au sens large, qui prévoit d'autres investissements dans le rail, la construction de P+R, le doublement de voies, mais aussi d'autres leviers, comme le télétravail par exemple. C'est la raison pour laquelle nous négocions actuellement plus de flexibilité avec la France.

Paperjam: Vous avez vu partir tour à tour les coarchitectes de cette coalition, Felix Braz et Étienne Schneider. Comment le vivez-vous?

Xavier Bettel: Humainement, c'est terrible. Les deux situations sont bien différentes. Ce n'est pas un choix pour Felix. Pour Étienne, en revanche, c'en est un. C'est vrai que cela me fait énormément de peine que les deux arrêtent.

Paperjam: Étienne Schneider vous en avait parlé en acceptant son mandat?

Xavier Bettel: Non, il m'avait juste dit qu'il ne savait pas s'il terminerait son mandat. De toute façon, il avait annoncé qu'il ne ferait pas 10 ans en tout au gouvernement.

Paperjam: Vous le comprenez?

Xavier Bettel: Je le respecte. Je le regrette, mais je le respecte. Mais j'ai un accord de coalition, et deux vice-Premiers ministres, Dan Kersch (LSAP) et François Bausch (Déi Gréng), avec qui je bosse, que je connais. François était mon premier échevin quand j'étais bourgmestre de Luxembourg-ville, et il y a donc une amitié et une complicité qui existent depuis toujours entre nous. Dan Kersch, j'ai pu travailler avec lui depuis longtemps. On entame notre 7e année, donc c'est quelqu'un à qui je fais confiance.

Paperjam: Il y a la couleur des partis mais aussi celle des hommes. Cette coalition va-t-elle pencher plus à gauche?

Xavier Bettel: J'ai un accord de coalition et on gardera la ligne. Cela ne change rien: elle n'ira pas plus à gauche et pas plus à droite.

Paperjam: Dan Kersch est moins rond qu'Étienne Schneider...

Xavier Bettel: Si vous parlez physiquement, je trouve cela assez déplacé... [rires]

Paperjam: Disons qu'il a parfois de fortes convictions. La cohabitation ne va-t-elle pas être plus difficile?

Encore une fois, nous avons un accord de coalition. Ce n'est pas parce que les hommes changent que le programme change. Et ce programme n'a pas été validé par Xavier Bettel, Felix Braz et Étienne Schneider, mais par trois partis et par leurs bases.

Paperjam: Beaucoup de mesures ont porté la touche de Déi Greng ou du LSAP. C'est quoi la touche du DP dans cette coalition?

Xavier Bettel:Il y a beaucoup de dossiers qui se sont concrétisés et qui se poursuivent, notamment au niveau familial. Passer plus de temps en famille, avec ses enfants, n'était pas apprécié par tous, mais moi je le défends mordicus. Mais je n'aime pas entendre, par exemple, que le Plan climat serait juste le plan des Verts, ou l'augmentation du salaire social minimum, celui des Rouges. C'est faux, ce sont des accords qu'on a trouvés ensemble. C'est un peu comme si je disais que la réforme fiscale sera juste une réforme du DP... Ce sera une réforme du gouvernement et de la majorité.

Paperjam: Quelle est la priorité de cette réforme fiscale? La justice sociale? La compétitivité?

Xavier Bettel: Il y a avant tout l'individualisation. Aujourd'hui, si je me marie, je paie moins d'impôts. Mais si je divorce ou si je deviens veuf, je paie à nouveau plus d'impôts. Cela n'a pas de sens, car j'ai toujours une maison ou un loyer, une facture de chauffage ou d'eau à payer... Il faut évidemment tenir compte du nombre d'enfants dans une famille, mais pas du fait d'être marié ou de ne pas être marié, concubin ou pas. C'est un objectif d'égalité entre les citoyens. Il y aura aussi dans cette réforme des mesures pour encourager les gens à être plus écoresponsables... On va donc revoir les déductibilités, ce à quoi il faut toucher ou pas. Puis, il faut un volet social car les chiffres montrent que les familles monoparentales, souvent, connaissent des difficultés. Sans oublier, bien sûr, la compétitivité du pays.

Paperjam: Les entreprises ne seront pas oubliées?

Xavier Bettel: L'accord de coalition prévoit que nous restions compétitifs. Il faudra voir, en fonction du contexte international, quelle sera la situation fiscale à ce moment-là et s'il est nécessaire ou pas de prendre des mesures. Mais je ne veux pas tomber non plus dans le dumping fiscal. Je n'ai pas envie de me retrouver avec des contribuables qui paieraient, toutes taxes cumulées, l'équivalent de 40 % d'impôts alors que les entreprises descendraient à 11 ou 10 % sous prétexte que l'Irlande serait à 12 %. Je ne rentrerai pas dans cette surenchère où, à la fin, on va dire aux entreprises: "Vous ne paierez rien du tout. Les autres paient pour vous."

Paperjam: Le nouveau président de I'UEL, Nicolas Buck, a mis un coup de pied dans la fourmilière du dialogue social l'automne dernier, en le jugeant inadapté et obsolète. Qu'en pensez-vous?

Xavier Bettel: Moi, je suis pour le dialogue social. C'est une des richesses de notre pays. Quand vous regardez ce qu'il se passe chez certains de nos voisins, on voit que c'est plus difficile...

Paperjam: Qui doit gérer ce dialogue social? Quel doit être le rôle de l'État?

Xavier Bettel: Cela doit d'abord marcher entre entreprises et syndicats, et, tout d'abord, au sein même de chaque entreprise. Même là où il n'y a pas de représentation du personnel, cela doit fonctionner entre le patron, son chef du personnel et les employés. Le dialogue social ne doit pas être seulement quelque chose de structuré au niveau national. Il doit être permanent. Après, au niveau national, quand il y a des changements législatifs à faire, on ale CPTE et différents mécanismes qui doivent être des plates-formes d'échange. Ensuite, c'est à moi, en tant que politique, de prendre mes responsabilités et de trancher.

Paperjam: Donc c'est d'abord aux syndicats et aux patrons de se mettre s'accord?

Xavier Bettel: Bien entendu! C'est le but, et si les uns et les autres ne veulent pas discuter ensemble, ce n'est pas bon pour le dialogue! Si nous ne faisions que des bilatérales, c'est-à-dire avec l'un puis avec l'autre, nous perdrions cet esprit de compromis. Je pense que Nicolas Buck a dit certaines choses, a demandé certains changements, notamment quant à la manière dont on fonctionne, mais j'observe que le CPTE fonctionne encore puisqu'il y a eu des réunions en décembre.

Paperjam: Vous êtes attaché à cet art du consensus, mais cela n'a pas marché en ce qui concerne la réforme de la Constitution...

Xavier Bettel: C'est dommage. Mais s'ils ne se sont pas mis d'accord pour une réforme complète, il y aura une refonte de certains articles.

Paperjam: Cela vous satisfait?

Xavier Bettel: J'aurais préféré une nouvelle Constitution. J'avais proposé un référendum, alors que je ne suis pas le "pro" du référendum [sourire]. Mais je n'avais pas peur de demander leur avis aux citoyens. Maintenant, un accord a été trouvé, et on va tout de même réformer les choses les plus importantes.

Paperjam: C'est une occasion manquée de se doter d'une Constitution moderne?

Xavier Bettel: Je trouve que le Luxembourg mériterait de disposer d'une Constitution qui ne parle plus de franc-0r...

Paperjam: Que vous inspire le conflit des retraites en France?

Xavier Bettel: Qu'il est important de se doter des voyants nécessaires. Au Luxembourg, on s'est mis d'accord sur un mécanisme qui nous dit en temps et en heure de quelle couleur est le voyant. Pour le moment, il est vert. Mais s'il devient orange, il faudra s'y atteler sans attendre qu'il ne passe au rouge.

Paperjam: Certains le voient déjà orange...

Xavier Bettel: Oui, mais il y a aussi des gens qui le voient rouge depuis 30 ans! Je suis prêt à prendre mes responsabilités quand il faudra les prendre. Mais cela ne sert à rien aujourd'hui, puisque nous avons des réserves largement suffisantes. Je n'ai donc pas besoin de faire une réforme et pas besoin de distiller cette peur comme l'ont fait certains partis avant les élections en disant qu'il fallait absolument réformer les retraites et que les caisses étaient vides: c'est faux!

Paperjam: Votre premier mandat a été marqué par une volonté de modernisation, notamment des institutions, de la société ou encore de l'économie. Et maintenant? Sous quel signe voulez-vous placer ce mandat?

Xavier Bettel: La continuité! Pas juste pour dire que l'on continue, mais pour faire encore mieux. C'est avoir une école qui soit un tremplin pour chacun et que la langue ne soit plus une barrière pour les uns et les autres, une société où chacun peut faire ses choix, une société où les futures générations pourront se retrouver, une cohésion sociale qui fonctionne... C'est rare, quand même, les pays où l'on compte plus de 50% d'étrangers et où l'on ne connaît pas d'extrême droite comme en France, en Allemagne ou en Belgique.

Paperjam: Sylvie Mischel, présidente des Femmes de LADR, a été l'auteur d'un message Facebook polémique sur l'accueil des étrangers. L'ADR est-il un parti d'extrême droite?

Xavier Bettel: L'ADR, non, car ce n'est pas I'AFD en Allemagne ou le RN en France. Un Gaston Gibéryen, par exemple, n'est pas un homme d'extrême droite. Mais ce n'est pas la première fois que l'on a ce genre d'incident. Donc certains membres de l'ADR, oui, partagent ces idées d'extrême droite.

Paperjam: La légalisation du cannabis, c'est pour quand? Et était-ce vraiment prioritaire?

Xavier Bettel: Ce n'était pas prioritaire, mais cela figure dans l'accord de coalition. Donc cela sera fait dans les quatre ans qu'il nous reste.

Paperjam: Pas cette année, donc?

Xavier Bettel: Quand ce sera prêt...

Paperjam: Vous n'aimez pas les dates...

Xavier Bettel: Je n'ai pas envie de donner de date, car il y a des délais qu'on ne maîtrise pas. Nous pouvons être plus ou moins longtemps dans l'attente d'un avis sur le texte de loi, par exemple de la part du Conseil d'État. Arrêtons donc de dire: "Est-ce que cela sera fait cette année?"

Paperjam: Ce n'est pas plutôt parce que le sujet est plus compliqué que vous ne l'aviez imaginé?

Xavier Bettel: Ce n'est pas plus compliqué, mais c'est important de connaître tous les aboutissements, tous les points. Il faut y aller de manière réfléchie, voir le côté prévention, répression, l'usage, l'encadrement, la production, la distribution... Tout cela doit être bien vérifié avant de se lancer.

Paperjam: Quel ministre vous a le plus étonné depuis un an?

Xavier Bettel: Aucun ne m'a surpris, ni dans un sens ni dans l'autre. Je suis un peu comme un chef d'orchestre. La partition est mon accord de coalition, et il faut que l'orchestre joue juste. Et pour cela, le chef ne peut avoir de chouchou. Alors, c'est harmonieux. Parler, travailler en équipe, c'est comme cela que ça marche... Car on a tout de même trois familles politiques autour de la table.

Paperjam: Et le chef d'orchestre espère encore rester longtemps au pupitre?

Xavier Bettel: Ce n'est pas à moi de le décider.

Paperjam: Un peu, tout de même: vous pourriez choisir de ne pas vous représenter...

Xavier Bettel: Je suis plein d'énergie, plein de motivation pour poursuivre le job. On m'a récemment demandé où je serai dans 50 ans. J'ai répondu que ce sera juste le moment où j'arrêterai ma carrière politique [rires].

Paperjam: Vous n'êtes donc pas à la recherche d'un second souffle?

Xavier Bettel: Non, car le premier est toujours là.

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